Une rumeur se répand depuis quelques années aux États-Unis comme en Israël : la France serait devenue le pays le plus antisémite d’Europe…
À l’aube des années 2000, brusquement, dans la patrie des droits de l’homme et de l’émancipation des juifs, des menaces, des agressions, des incendies de synagogues, composaient les pages d’un nouveau bréviaire de la haine. Depuis l’affaire Dreyfus, l’histoire des juifs en France n’a cessé de se vivre avec passion. Un vieux proverbe yiddish disait : “Heureux comme Dieu en France”.
Un siècle d’une longue histoire, riche d’intégration, mais une histoire inquiète, secouée d’interrogations. De Dreyfus au malaise des années 2000, de l’arrivée des juifs du Yiddishland à l’exode des juifs d’Afrique du Nord, de la Grande guerre à Vichy, juifs français ou français juifs, des hommes et des femmes racontent avec humour et émotion ces années de bonheur et de tourments. Une histoire sensible des juifs en France, rythmée et nourrie de documents rares, d’extraits de films de cinéma, de musiques et de chansons… Dans la joie ou la douleur.

Réalisation : Yves Jeuland
Production : Michel Rotman, Marie-Hélène Ranc

Juillet 1906, après 12 années de batailles juridiques et de joutes politiques, de controverses et de retournements, 12 années d’injustice et d’humiliation, le capitaine Dreyfus était définitivement réintégré, dans l’armée de la République française. Un ultime jugement de la Cour de cassation, rendait à Alfred Dreyfus son honneur. L’affaire avait déchaîné les passions et la haine antisémite, mais elle se concluait par la défaite des antidreyfusards, par la victoire de la République. Heureux comme Dieu en France, disait alors un proverbe yiddish. Comme un juif en France dans la joie ou la douleur Douce France, cher pays de mon enfance. Bercée de tendre insouciance. Je t’ai gardé dans mon cœur. Oui, je t’aime dans la joie ou la douleur. Soldats ! On dégrade un innocent. Soldat ! On déshonore un innocent ! Disons-le brutalement, l’armée s’est déshonorée. On fabrique des faux pour perdre un officier d’état-major. C’est le dernier degré du déshonneur pour un militaire. Tout ça parce qu’il est juif et qu’on pense qu’il vaut mieux, ce coupable-là qu’un autre. C’est honteux ! En termes de conscience humaine, ce qu’il y a eu, de plus saisissant dans l’affaire Dreyfus, c’est la révélation de l’intensité et de la profondeur de l’antisémitisme en France, sous la troisième République. Quand même beaucoup plus, de défilés de la droite nationaliste criant : "Mort aux juifs !" que de défilés de dreyfusards. L’affaire Dreyfus, c’est la suite d’une vingtaine d’années, où la littérature française, où tout ce qui s’exprime par l’écrit, parle des Juifs, où il y a énormément de journaux qui ne datent pas de l’affaire Dreyfus, qui datent d’avant, pour parler du journal le plus lu par les catholiques, c’est La Croix. La Croix est un journal antisémite, avant l’affaire ! Le journal le plus anti-juif de France, comme se définit alors La Croix en cette fin de XIXᵉ siècle. La Croix, tout comme le pèlerin, s’acharnent contre le peuple déicide, race ennemie du Christ qui ronge la nation. La droite et le clergé n’ont pas le monopole de la haine. L’ancien communard et pamphlétaire Henri Rochefort, a, lui aussi, sa publication antijuive. Signe de cette flambée antisémite, un livre que l’on s’arrache, La France juive paraît en 1886. Son auteur est un défenseur de la vieille France, Edouard Drumont. Il fonde la Ligue Antisémitique que dirigera Jules Guérin et crée bientôt son propre journal. L’affaire Dreyfus est l’occasion d’un déchaînement sans précédent. Un flot de haine. La France serait-elle devenue le pays le plus antisémite d’Europe ? La violence ne s’exprime pas seulement dans les colonnes des journaux. Elle est aussi dans la rue. Pendant l’affaire Dreyfus, on assiste à des manifestations anti-juives, dans toutes les villes de France. Le pire est atteint en Algérie en 1898, où un leader antisémite, Max Regis. Entraîne la population européenne, à piller les magasins juifs. Début de pogrom. Cette même année, Drumont est élu député d’Alger et forme à la Chambre un groupe parlementaire antisémite. Drumont est élu député d’Alger, face à un antisémite modéré. Donc, il y a là quelque chose… Alger étant une ville française à l’époque. Ça témoigne d’une intensité dans la société française de l’époque, une profondeur d’antisémitisme qui a, j’imagine, dû être une révélation pour beaucoup, comme on disait à ce moment-là, d’Israélites français. Les Juifs ne sont alors qu’une étroite minorité dans le pays. 80 000 personnes dans une France de 40 millions d’habitants. Originaires de Bordeaux, d’Avignon ou de Carpentras et surtout d’Alsace et de Lorraine, beaucoup sont établis en France depuis des siècles. Émancipés depuis la Révolution française, la république leur a ouvert les portes de l’administration, de l’armée et de la politique. Pour ces Israélites, comme on les appelle depuis Napoléon, la religion organisée autour des consistoires demeure une affaire privée. Dans une volonté d’assimilation, on ne parle plus de synagogues, les Israélites vont au temple. Ils sont nombreux à redouter la mauvaise publicité, que ce capitaine juif peut faire à leur communauté, comme en témoigne Léon Blum dans ses souvenirs sur l’affaire. Les Juifs avaient accepté la condamnation de Dreyfus, comme définitive et comme juste. Ils ne parlaient pas de l’affaire entre eux, ils fuyaient le sujet, bien loin de le soulever un grand malheur était tombé sur Israël. On le subissait en silence, en attendant que le temps et le silence en effacent les effets. La masse juive accueillit même avec beaucoup de respect et de méfiance les débuts de la campagne de révision. Le sentiment dominant se traduisait par une formule comme celle-ci. C’est quelque chose dont les Juifs, ne doivent pas s’occuper. Si l’affaire Dreyfus s’impose aux Juifs de France, le silence plus que la révolte, le premier à s’engager dans le combat de la vérité, est pourtant un intellectuel juif, Bernard Lazare, d’autres consciences s’élèvent avec lui. Cette capacité de s’indigner contre l’injustice, puis de prendre fait et cause, comme Zola le fait pour les Juifs, comme Clemenceau, comme Péguy. Effectivement, on peut dire, que c’est la grandeur de la France. On ne lutte pas parce que Dreyfus est juif, on lutte contre l’injustice. Voilà, c’est une époque où une injustice faite par un seul homme, peut séparer un pays en deux. Dans ma famille, mon père et ses frères, considéraient que la République l’avait emporté sur la réaction. Et qu’ils sont sortis de l’affaire Dreyfus, puis républicains et donc plus français qu’avant. Dans la mesure où c’était possible d’être plus français, mais en tout cas rassuré et persuadé, que c’était la victoire de la République. Réhabilité, le capitaine Alfred Dreyfus, deviendra le lieutenant colonel Dreyfus, quand, en 1914, il décida à presque 60 ans, de rejoindre son régiment et d’aller se battre pour la France. Aux côtés de Dreyfus, dans cette effroyable Grande Guerre, Plus de 30 000 Juifs de métropole et d’Algérie sont mobilisés. À cela s’ajoutent plus de 8 000 volontaires d’origine étrangère, venus de l’est. Dès les premiers jours de la guerre, une affiche en yiddish est placardée sur les murs de Paris. La France est en danger. Frères, c’est le moment de payer notre tribut de reconnaissance, au pays de la liberté et de l’égalité et de la fraternité. La France, qui, la première de toutes les nations, nous a reconnues, à nous juifs, les droits d’homme et de citoyen. La France où nous trouvons depuis de longues années un refuge et un abri. Dans les tranchées, le futur grand-rabbin de France, Jacob Kaplan. Autre symbole de cet engagement patriotique, la figure d’Abraham Bloch, grand-rabbin de Lyon, tué par des éclats d’obus, alors qu’il apporte à un blessé chrétien la croix du Christ. Bien entendu que j’ai entendu parler du rabbin Abraham Bloch, d’autant plus que sa fille était une cousine, donc ça faisait partie de l’histoire de la famille. Et on était assez fiers d’ailleurs de ce que ce rabbin avait fait et de ce qu’il avait été, une figure patriotique, si je puis dire, dans l’histoire de France. Le monument de Douaumont perpétue le souvenir, de ces Juifs français par le sang versé. 7500 d’entre eux ont disparu dans l’immense boucherie. Le monument élevé à la mémoire des Israélites morts pour la France et prononce un discours dont voici un extrait. L’évocation des milliers d’Israélites de France, d’Algérie et alliés, mobilisés ou engagés volontaires, qui sont morts pour la défense du pays, recueillons-nous. Même l’écrivain Maurice Barrès, qui s’était illustré par son antisémitisme lors de l’affaire Dreyfus, doit admettre le sacrifice et rend hommage, à ces Juifs étrangers qui se sont battus non pour une terre natale, mais pour une patrie choisie. Les antisémites ont perdu du terrain. Jean Renoir évoquera 20 ans plus tard, dans La Grande Illusion, la fraternité des tranchées où les destins se croisent. Il faut bien qu’on la finisse cette p*** de guerre, non ? En espérant que ce soit la dernière. Tu te fais des illusions ! Revenons à la réalité. Si on tombe sur une patrouille, que fait-on ? Tu files de ton côté et moi du mien. On risque chacun sa chance. Alors au cas où ça arriverait, disons-nous au revoir et à bientôt. Allez, au revoir sale juif ! Au lendemain de la Grande Guerre, alors que les États-Unis se ferment, la France devient un grand pays d’immigration, une terre d’accueil. Parmi les étrangers qui arrivent en France, les Juifs du Levant, de Turquie et des Balkans, souvent déjà francophones, grâce aux écoles françaises de l’Alliance israélite universelle. D’autres, plus nombreux, viennent par milliers de Russie, de Hongrie, de Roumanie ou de Pologne. Mon père s’est arrêté en France, partant aux États-Unis. Il s’est arrêté en France à cause de l’affaire Dreyfus. Il avait lu Balzac en yiddish, Émile Zola en yiddish et il avait une certaine connaissance, de ce que pouvait être une certaine France. Et puis le fait que ce pays, reconnaisse ses erreurs, ça a été un signe pour lui quand il a eu 20 ans. Surtout qu’on sortait d’une période de l’occupation russe aussi, où il y avait eu énormément de pogroms en Pologne, dont mes parents avaient été eux-mêmes victimes. Donc pour eux, c’était déjà vraiment, oui, la liberté. Ma mère, elle, elle appartient, à la vague d’immigration des années 1910. Ce sont des Juifs bessarabiens. Il y a eu les pogroms terribles à Kichinev. Et ils décident d’émigrer, et de venir à Paris. Comme toujours, d’abord les garçons, ensuite le père et pour finir, la mère et la fille, par petites étapes successives. Du côté de ma famille maternelle, mon grand-père est d’ailleurs, de cette émigration. Ce qu’il m’avait dit, c’est : "C’était une épidémie. On partait tous." Partir. Le bonheur est en France, dit-on. La France qui éclaire l’horizon, premier pays en Europe qui sut faire des Juifs des citoyens. Depuis septembre 1791, la nouvelle venue d’Alsace, s’est répandue dans tous les Shtetls de Bessarabie, de Lituanie et de Pologne. Dieu a choisi la noble nation française, pour nous restituer nos droits. La Déclaration des droits de l’homme est une nouvelle table de la loi. En 1920, ma famille est arrivée à Metz. Ma famille paternelle et quelque temps après, ma famille maternelle. Et mes parents sont nés à Metz. Véritablement les premiers Français par le droit du sol comme on dit. Je crois que seule la France et l’Amérique ont eu cette espèce d’éclat messianique, puisqu’ils portaient un message universel. On trouve des expressions, à l’époque de l’émancipation des Juifs de France, qui disent : "À partir de maintenant, la Seine est notre Jourdain, Paris notre Jérusalem." Paris, il n’y avait pas un mot qui fut plus doux pour moi, écrira le peintre russe Marc Chagall, qui s’installe définitivement dans la capitale en 1923 et côtoie Soutine, Zadkine et Modigliani. Il y avait une image très forte qui était Paris, la ville lumière. On la retrouve comme un cliché dans pratiquement, toute la littérature yiddish de l’immigration en France. Une attirance pour la France, mais ce qui pousse à immigrer, c’est le fait qu’on ne peut plus vivre là où on vit. Ils fuyaient la misère ! La majorité des juifs qui viennent en France, sont des réfugiés économiques, qui ne voient pas d’avenir parce qu’en plus, il y a l’antisémitisme. Alors que les Juifs établis avant la Grande Guerre gagnent l’ouest de Paris, les arrivants emménagent dans les quartiers souvent insalubres de Belleville, Montmartre et du Marais. Près de l’hôtel de ville de Paris, le Pletzl, la petite place vit au rythme du Yiddishland. 150 000 Juifs vivent dans la capitale dans ces années 1920. Parmi les Juifs d’Europe de l’Est, des artisans, livreurs, vendeurs de produits de Pologne et de Russie, fourreurs, matelassiers et couturières, casquettiers et maroquiniers qui bientôt ouvrent leur boutique, le cœur à l’ouvrage. Mon grand-père, on disait que c’était le meilleur tailleur de Varsovie. Mais il y a beaucoup de meilleurs tailleurs de Varsovie dans les familles juives. Et je dirais que la valeur qui était sa valeur suprême, c’était le travail. Ma mère commence à travailler comme bobineuse, au coton DMC de Belfort et mon père, il est manœuvre. Et comme tous les juifs se privant de tout, mangeant des pommes de terre avec du hareng, ils économiseront assez d’argent, pour pouvoir commencer à faire les marchés. Mes oncles vendaient des chiffons et gagnaient plus d’argent le dimanche en allant vendre des madeleines, à la porte de Vincennes. Ils vivaient à trois dans deux pièces avec un atelier, où il y avait toujours 2 ou 3 cousins, qui soit venaient pour s’établir, c’était le premier relais ou au contraire, c’était un passage en attendant d’aller ailleurs, à Chicago, à New York. Il y avait toujours ce petit noyau familial ou amical, dans très peu de pièces et dans une grande misère. Plusieurs associations naissent, bientôt unis dans la Fédération des sociétés juives de France. Les Rothschild créent des lieux d’accueil, des crèches, des asiles, des soupes populaires. Tous les juifs français ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée de ces juifs exotiques venus d’Europe de l’Est. Le Polak était le polak, ça, c’est vrai. Il faut reconnaître les choses. Quand on parlait d’un juif qui venait de l’Est, j’entendais dire : "C’est un polak." Une certaine forme de racisme existait entre les juifs locaux et les juifs venant d’Europe de l’Est. Et cela, mon père m’en a témoigné et il en a probablement assez souffert. Ils sont considérés comme des étrangers, d’une part, et d’autre part, peut-être comme des gens, pouvant être susceptibles, de créer de l’antisémitisme. Imaginez que les Juifs locaux, donc, ont reçu la citoyenneté. Ils se sont émancipés, ils ont intégré les structures de la République. Certains occupent des postes assez importants et ils veulent surtout ne pas dépareiller, par rapport aux autres Français. Et ils voient arriver ces juifs très typés parlant le yiddish. Ils arrivaient avec leur accent, leurs vêtements, leur profession et ils n’étaient pas du tout dans le cadre. Et ils ont été très mal perçus, par les juifs installés en France depuis un certain temps. Il y a la crainte de ces Juifs de l’Est, qui sont bruyants, pouilleux et qui risquent de mettre en péril leur intégration. Mais il y a aussi peut-être quelque chose, comme un retour de l’image de ce qu’ils ont fui eux-mêmes. C’est-à-dire que ces juifs de l’Est leur rappellent peut-être, leurs parents ou leurs grands-parents. En plus, la langue yiddish, est quand même une langue qui peut sonner, avec une certaine proximité avec l’allemand. Donc ces juifs, peuvent facilement être traîtres, à la nation française. Mes parents auraient vu comme une espèce de mésalliance, si un de leurs enfants avait épousé, quelqu’un originaire de Pologne. Aujourd’hui, un juif dont les enfants trouvent un autre juif, est déjà très content. Mais à l’époque, il y avait cette espèce d’ostracisme. J’ai beaucoup aimé finalement les Juifs venus de Pologne. Parce qu’ils apportaient quelque chose, que je n’avais pas eu dans ma jeunesse. Dans les bagages de ces juifs du Yiddishland, une culture, un théâtre, des musiques, des écrivains, une langue. Des associations sportives apparaissent sionistes, communistes, le Yask, club sportif des ouvriers juifs, est lié à la CGT. À Paris, les journaux et les publications en yiddish foisonnent. Naïe Presse, Parizer Haynt, Unser Stimme, notre voix, la semaine parisienne. Des petites synagogues perpétuent les rites et les liturgies d’Europe centrale. Avec la loi de naturalisation d’août 1927, près de 50 000 juifs étrangers, juifs du Levant ou juifs du Yiddishland, vont devenir français. Une intégration qui passe aussi par l’école républicaine. L’essentiel, c’étaient les études. Il fallait étudier, être bon en classe. Ma mère ne considérait pas que ses fils puissent être, autre chose que premiers de la classe. À partir de quoi je peux dire que j’ai reçu une éducation sévère. Mon père n’a pas été à l’école, gratuite, laïque, obligatoire. Son père la mit, dans les écoles qu’on appelait les écoles Rothschild, qui étaient les écoles du Consistoire, où on apprenait à être, israélite et français. Les vacances sont terminées. La rentrée des classes apporte aux écoliers, le regret de la liberté perdue, mais aussi, la joie des bons camarades retrouvés. Ma mère allait à l’école des Hospitalières-Saint-Gervais et là, l’instituteur républicain, elle racontait toujours, mais 30 ans après, avec une émotion inouïe et une reconnaissance infinie, l’instituteur républicain gardait après la classe, les enfants immigrés pour leur faire, des cours supplémentaires de français qui, croyez-moi, n’étaient pas payés. Mais c’était la passion républicaine de l’intégration. Et elle-même, le soir, lorsqu’elle rentrait chez elle, donnait à partir des leçons que lui avait ainsi donné, l’instituteur républicain, des sortes de cours du soir aux cousins et à ses parents. Et à la maison, même pauvre grand-mère, s’est tenue dans la mesure du possible, à s’exprimer en français. Ils ne se servaient du russe et éventuellement du yiddish, que pour ce que les enfants ne devaient pas comprendre. Beaucoup ne parlent pas français, mais leurs enfants vont parler français. Et leurs enfants vont devenir des écrivains, des chanteurs, dans certains cas… Moi, j’étais destiné à être tailleur. Dans l’atelier dans les années 50, dans les nombreux ateliers que j’ai fait comme apprenti, on ne parlait pas yiddish, on parlait français. Des générations d’immigrants juifs se coulent ainsi avec bonheur, dans la langue et la culture de la République. Demain, leurs enfants seront des citoyens exemplaires, plus français que les Français. Francis Lemarque devient un chanteur français. Celui qui va incarner Paris, c’est Francis Lemarque. Il était apprenti maroquinier. Il vivait dans une famille juive, typique, il militait et il incarnait vraiment la Bastille. Le soleil, qui est son vieux copain, est aussi de la fête. Et comme deux collégiens, ils s’en vont en goguette dans Paris, depuis qu’à Paris, on a pris la Bastille, dans tous les faubourgs et à chaque carrefour, il y a des gars et il y a des filles, qui, sur les pavés, sans arrêt, nuit et jour, font des tours et des tours, à Paris. Mon ami Jean Frydman racontait que dans son quartier à Belleville, à l’époque, Belleville était un quartier juif. Quand l’un des immigrés juifs d’Europe de l’Est, était naturalisé, c’était une fête de quartier. C’était une espèce de fierté de lui-même d’abord, du nouveau Français, mais aussi de l’ensemble du quartier, qui projetait sur lui, ces espoirs d’un jour, réussir à obtenir la nationalité française. Ce n’était pas seulement une question administrative, c’était une question de foi. Pour des hommes comme mon père, on était citoyens français. C’est fini, la page était tournée, la Russie n’existait plus. L’URSS, c’était un pays sur la carte. Il lui arrivait de s’y intéresser, mais il ne se sentait et ne se voulait que Français. La France était une machine à broyer les identités, qui a très bien fonctionné. Elle a pris des générations de Juifs de l’Est, d’Italiens, de Portugais, d’Espagnols, de Polonais, et elle en a fait des Français. Cette machine-là est un peu grippée aujourd’hui, Mais ça, c’est un autre débat. Dans la France des années folles, Les Juifs semblent avoir trouvé une nouvelle terre promise. Dreyfus serait donc une affaire classée, oubliée. La lune de miel n’interdit pas cependant quelques couplets antisémites. Des chansonniers s’en donnent à cœur joie, des Juifs ne voient alors dans les fausses notes du fantaisiste Georgius, qu’un folklore, un antisémitisme de bonne compagnie. Et il arrive même que dans certains mariages juifs, il se trouve quelques convives pour reprendre en chœur, la noce à Rebecca. La noce à Rebecca ! Pour calmer tous les invités qui se montraient un peu surexcités. Rébecca joua du piano. Le fils Lévy vendit 2 manteaux. L’oncle Schwartz offrit des cigares Monsieur Schmoutz en prit un dare-dare, Mais il dit au moment de fumer : "J’ai le bout qui n’est pas coupé !" Le père Mayer cria très fort : "Le bout pas coupé, c’est tragique !" Foutez-moi cet homme-là dehors, c’est un sale catholique ! Mes enfants ! On s’en souviendra longtemps Dans dix ans, on parlera encore de la noce à Rebecca ! La grande crise qui frappe les États-Unis en 1929, atteint bientôt le Vieux Continent. En France, les affrontements politiques se durcissent, le pays n’est plus le même. On ferme les frontières, on renvoie les travailleurs étrangers. Les ligues d’extrême droite battent le pavé, la xénophobie et l’antisémitisme refont surface. Mais en mai 1936, la gauche française, unie dans le Front populaire, gagne les élections. Pour la première fois, le Parti socialiste va diriger le pays. À sa tête, Léon Blum. Monsieur Léon Blum, est appelé par Monsieur Albert Lebrun, qui le charge de former le nouveau ministère. Avoir à la tête du gouvernement de la République française, un Juif comme on l’entendait dire, ne pouvait pas être bon pour les Juifs. Vous savez que Blum lui-même s’est interrogé, les représentants de la communauté sont venus le voir, pour lui demander de ne pas devenir président du Conseil. Mais vous savez aussi que ça aurait été accepter, de se voir à travers les yeux de ses adversaires et que ceci était impensable. Ça aurait été renier le socialisme, que de se voir lui comme juif, à ce moment-là. J’étais blumiste. J’ai toujours été plutôt tenté par la gauche, que par la droite, mais aussi par tradition familiale, sauf que, je dépassais sur la gauche les radicaux socialistes et que Léon Blum m’attirait. Pour une raison qui vous paraîtra peut-être évidente, peut-être, peut-être parce qu’il était juif, je ne sais pas. Pour mon père, c’était l’objet, d’une admiration sans limites. Et je me souviens très bien que, petit garçon, en 35, je devais avoir sept ans et demi, mon père, qui votait toujours socialiste, mais ne faisait pas de politique en France, mon père nous a emmenés, mon frère et moi, à un grand meeting républicain. C’était là où est maintenant le Palais de Chaillot, à l’époque le Trocadéro. Et là, il m’avait hissé sur les épaules et Blum avait parlé au micro. On entendait mal mais j’en ai gardé le souvenir. Vouloir d’avance, tous les moyens et toutes les conditions de la paix. Il y a eu un grand défilé du Front populaire, qui a commencé au Panthéon et qui se terminait à la Bastille. Et moi, je n’étais pas dans le défilé, mais j’étais à un moment donné, boulevard Saint-Germain. J’ai eu une surprise. J’ai vu dans le défilé un groupe d’hommes, porteurs d’un étendard, ce n’était pas un drapeau, c’était un étendard accroché comme ça. Écrit en lettres hébraïques, c’était le syndicat des coiffeurs juifs. Et qui défilaient en criant : "Vive le Front populaire !" "Vive le Front populaire !" Et moi, c’est vrai, je me suis posé la question, ça m’a amusé. Et puis j’avais une certaine sympathie pour ces types là. Je savais de qui il s’agissait. Je savais que c’était une branche un peu éloignée de la famille. Mais surtout, je me suis dit : "Est-ce qu’on a vraiment besoin d’un syndicat de coiffeurs juifs ?" Il y a des syndicats de coiffeurs. Pourquoi un syndicat de coiffeurs juifs ? La vérité ? Je n’ai pas encore la réponse. Je sais que c’était important pour ces hommes-là. Je comprends pourquoi c’était important pour eux. C’était aussi un moyen de s’intégrer sans s’oublier soi-même. Pourquoi tant de Juifs s’intéressaient au communisme, par exemple ? Parce qu’ils étaient, eux, les seuls à vivre cet internationalisme. Tout ce qui est nationalisme, où que ce soit en Europe à l’époque, se retourne contre les Juifs, l’universalisme et par conséquent tout ce qui a été l’idéal, des Lumières, ensuite des droits de l’homme. et pour les Juifs, une identité protectrice. Donc, ils sont naturellement portés et vers les mouvements progressistes et vers l’universalisme. D’où l’accusation de cosmopolitisme, évidemment. Il ne faut pas oublier, que depuis 33, à côté de chez nous, il y a, à deux pas, il y a une politique ouvertement antisémite. La journée antisémite, l’ordre officiel de boycottage du commerce israélite est rigoureusement exécuté. Sur l’autre rive du Rhin, le chancelier Adolf Hitler, a fait de l’antisémitisme un programme politique. Dès avril 1933, le parti nazi organise, le boycott des commerces juifs et en 1935, les lois de Nuremberg, excluent les Juifs de la communauté nationale. On regarde avec appréhension, j’allais dire avec dégoût, ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, en Allemagne, la Nuit de cristal, les Juifs réagissent, ils ne sont pas indifférents. Ils sont bouleversés, frappés, mais ils ont la conscience que quelque part, derrière la ligne Maginot, on sera intouchable. Il y avait eu la Première Guerre mondiale, où les Juifs n’avaient pas été visés en tant que tels. Ils ont payé leur tribut, normal, si j’ose dire, à ce conflit mondial mais ils n’ont pas été visés en tant que Juifs. Ce sont les dernières années de l’avant-guerre, où l’antisémitisme s’est vraiment développé en France, parce que, enfant, ma mère nous envoyait toujours, chez les mêmes paysans à la campagne. Avant, le problème juif ne se posait jamais et tout d’un coup, il était tout le temps sur la table. Les juifs ceci… Et nous, enfants, on était là et on entendait ça et on ne pouvait pas répondre. Crise économique, immigration, montée des fascismes en Europe, l’antisémitisme se réveille. Le juif est accusé de toutes les misères du monde. La parole antisémite se libère, s’exprime dans toute sa diversité, plus violemment en Alsace, en Lorraine et en Algérie, les coupables sont les Juifs qui s’enrichissent aux dépens des chrétiens, des ouvriers, des paysans, des petits commerçants. De toutes parts, ils cernent, ils encerclent, ils ruinent le pays, ils veulent la guerre, le capitaliste, c’est le Juif, mais le juif est aussi le bolchévique, le socialiste. Léon Blum est une cible de choix. Il suscite la colère, l’ironie et la rage. En juin 1936, à la Chambre des députés, celui qui, à Vichy, deviendra bientôt, le premier commissaire général aux questions juives, Xavier Vallat, donne le ton. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain, sera gouverné par un Juif. Moi, j’ai des souvenirs très précis là-dessus, de l’inscription à la craie, vous savez, mort à Blum, mort aux Juifs. C’était 37. Il y a une remontée de l’antisémitisme, de plume. Qui va avoir une sorte de sommet en 38. Ça s’incarne, premier pamphlet, Céline, qui publie son premier tas de m***. Bagatelles pour un massacre, paraît en 1937. Second pamphlet l’année suivante, dans l’École des cadavres, Louis-Ferdinand Céline laisse parler son cœur. Racisme d’abord. Racisme avant tout. Désinfection. Nettoyage. Une seule race en France, l’Aryenne. Nous nous débarrassons des Juifs ou bien nous crèverons des Juifs par guerres. Hybridations burlesques, négrification mortelles. Ce qu’il faut voir, ce sont les critiques, qui accueillent la sortie du livre. Et qui disent : c’est admirable, c’est encore plus beau que ses romans, parce qu’on ne voit pas réellement le sujet. C’est juste du style, des adjectifs. C’est formidable ! Donc, il y a une sorte de critique officielle, André Gide, qui dit : "C’est très drôle, il faut lire ça comme une chose comique." Voilà, il a voulu nous faire rire. Donc, cette année 38 voit une sorte d’espoir, se lever chez tous ces antisémites. Ces antisémites voient que c’est possible, qu’on peut mettre les juifs à l’écart, qu’on peut prendre leur place, leurs appartements, tout… Pendant ce temps-là, en France, on danse dans les rues, c’est formidable. On a gagné les 40 heures. Il y a une sorte d’aveuglement, qui fait que ce qui se passait à côté, il y avait l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne… Ce n’est rien ! Certains pourtant vont avoir une conscience aiguë de la montée des périls. Ils alertent l’opinion sur la situation en Allemagne. C’est un jeune journaliste juif, Bernard Lecache, qui fonde en 1928 la LICRA, Ligue internationale contre l’antisémitisme. Solidaires, quelques catholiques, philosophes et écrivains, Mauriac, Claudel ou Jacques Maritain, rompent avec l’antijudaïsme chrétien. L’abbé Viollet s’affiche aux côtés de Bernard Lecache. Pour empêcher que ne se réalise, l’odieuse injustice qui menace, vos coreligionnaires d’Allemagne. On continue de voir des Juifs arrêtés, promenés à travers la ville dans des costumes, que l’on veut burlesques, amenés à la préfecture, et ensuite emmenés, dans des camions emmenés, où cela ? Dans des camps dits de représailles. Ceci, le gouvernement hitlérien, ne peut pas le démentir. Ce sont les consuls américains, qui l’ont écrit dans leurs rapports ! Nous sommes contre l’Allemagne de Hitler, nous sommes pour l’Allemagne d’Albert Einstein. Un an plus tard, Bernard Lecache écrit : "L’antisémitisme n’est plus seulement allemand, roumain, européen, il est français, il circule dans les veines du pays, il empoisonne déjà les villes, il ne se discute plus dans les clubs, mais dans la rue." On arrive enfin, fini le voyage, un vieux copain vient vous sauter au cou. Il a l’air heureux. On l’est davantage, car on s’entend tous, vous en fiche un coup. Ce vieux clocher dans le soleil couchant, ça sent si bon la France, ses grands blés mûrs emplis de fleurs des champs, ça sent si bon la France. Ce jardinet où l’on voit "chien méchant" Ça sent si bon la France. À chaque gare, un murmure, en passant vous saisit : "Paris direct, en voiture." Ça sent bon le pays ! Quel pays ! Mais ça sent bon notre pays ! Mais oui ! C’est un régime abject. Pour moi, c’était l’abjection. Pourtant j’étais… un garçon de treize ans et c’est partout l’espèce d’idolâtrie maréchaliste. Partout les portraits du Maréchal, constamment aux actualités, espèce de vieillard avec sa voix chevrotante et quand même une immensité, une ferveur populaire et une espèce de… Comment vous dire ? Le côté caricatural. Narbonne, puissante, riche de son passé, batailleur et glorieux, et où le maréchal n’était jamais venu. Narbonne enthousiaste, heureuse, émue. Et bientôt Carcassonne. Carcassonne qui depuis trois jours, se préparait à recevoir dignement l’éminent visiteur. C’était dérisoire, minable. C’étaient des défilés de soldats, dont on se demandait à quoi ils servaient. Partout, les hommes de la Légion des anciens combattants, les bérets, les décorations, les "Moi, j’ai fait la guerre !" Non, affreux ! J’ai chanté avec les autres : Maréchal, nous voilà. Je dois dire à la vérité que, comme l’esprit de fronde, est prompte chez les ados, c’était un singulier Maréchal, nous voilà. Et que mes copains de classe et moi, on attaquait fortement sur le Maréchal, nous voilà. Je pourrais continuer, mais se mêlait bien vite à cela, des propos d’une obscénité dont seuls des garçons de 13 ans sont capables et que les professeurs devinaient, il y avait toujours des volontaires qui y allaient, mais les autres chantaient, tout à fait autre chose que le texte officiel. "Je hais les mensonges qui nous ont fait tant de mal" A dit notre Maréchal. Ceux qui ont corrompu notre peuple, qui propage aujourd’hui encore le mensonge, ce sont toujours les mêmes, les Juifs. Ils seront expulsés de la communauté nationale, quelles que soient leurs ruses pour y rester incrustés ! Notre jeunesse va créer les conditions d’une vie nouvelle. Elle va forger une civilisation nouvelle aux larges horizons, débarrassée de tous les éléments destructeurs et asociaux. Faisons confiance au Maréchal qui nous a guidé et qui a accompli les premiers gestes libérateurs en édictant le statut des Juifs. Debout l’Europe ! Français, présents ! Avec le régime de Vichy, les antisémites vont connaître leur heure de gloire. Dès octobre 1940, avant même que l’occupant nazi ne l’ai demandé, une législation raciale permet d’exclure les Juifs, de toute la fonction publique, de la presse, de la radio, de la médecine, de la vie économique. Vichy abroge le décret Crémieux, qui avait émancipé les Juifs d’Algérie en 1870. Ils ne sont plus Français. Bientôt les biens des Juifs sont saisis théâtres, cinémas, piscines, jardins publics, restaurants, deviennent inaccessibles. Français ou étrangers, ils doivent se faire recenser. On bloque les coffres et on coffre les Bloch. Il semble que le peuple élu soit en ballotage, écrit Tristan Bernard avant son arrestation. Et évidemment, on a tout de suite sur nos papiers, des tampons juifs. Sur toutes les cartes d’alimentation. Carte d’identité. La mairie nous met tout de suite les tampons juifs. Parce que c’est… C’est comme ça ! J’ai vu mon père revenir du commissariat, où il avait été immatriculer la famille. Et c’est là où… Oui, j’ai décelé ce que ça signifiait pour lui. Aller au commissariat, faire la queue et se déclarer comme juif. Mais… Il a été dépouillé de tout. Il a fallu nommer un administrateur. Son affaire ne lui appartenait plus. L’air se raréfie. Nouvelle ordonnance en 1942. C’est l’occupant nazi qui cette fois contraint les Juifs vivant en France, au port de l’Étoile Jaune. Cette étoile révèle souvent l’existence juive aux yeux des autres et entraîne ici et là des mouvements de compassion et de solidarité. Vichy obtient que la mesure ne frappe que les Juifs de la zone occupée. Dès l’âge de six ans, les voici marqués, désignés, séparés du reste de la population. Ce dont je me souviens, c’est que je disais, puisque moi, je ne portais pas l’étoile, j’avais moins de six ans, je disais : "Mon père est juif, ma mère est juive, mon frère est juif et moi, je suis français." Pour moi, le phénomène du statut des Juifs, c’était la revanche de ceux qui avaient été battus, au moment de l’affaire Dreyfus, c’était clair et à mon avis, il est difficile de l’analyser autrement, c’étaient des hommes qui avaient vécu l’affaire Dreyfus, qui étaient à droite au moment de l’affaire Dreyfus, qui avaient perdu à cette époque-là et qui se sont vengés. C’est un acte purement français. Ça n’avait rien à voir avec les Allemands, c’était la vengeance, c’était la réponse à l’affaire Dreyfus. C’est la revanche des vaincus, les vaincus du mouvement de l’histoire, ceux qui n’ont jamais supporté la fondation d’une France républicaine. Divine surprise que Vichy. S’écrie Charles Maurras, éditorialiste de l’action française. Le maréchal comble ses vœux, ses idées sont au pouvoir. Antidreyfusard Maurras incarne cette continuité, haine de la démocratie, de la franc-maçonnerie, des métèques et de la juiverie. Le journaliste d’extrême droite Philippe Henriot, membre de la milice, secrétaire d’État à l’information et à la propagande en 1944, mène campagne avec véhémence sur les ondes de Radio Vichy, contre le général de Gaulle, qu’il accuse d’être une marionnette au service des intérêts juifs. Réfugié à Londres, le chansonnier Pierre Dac, né André Isaac, juif d’origine alsacienne est dans la mire de Philippe Henriot. Le juif Dac s’attendrissant sur la France, c’est d’une si énorme cocasserie qu’on voit bien qu’il ne l’a pas fait exprès. Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France ? Au micro de Radio Londres, Pierre Dac lui répond : Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaines polémiques, je vais vous le dire, ce que cela signifie pour moi, la France. Des campagnes napoléoniennes, jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, moi, y compris, monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang. Puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un, celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver. Si d’aventure vos pas vous conduisent, du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux, tournez à gauche dans l’allée et à la sixième rangée, arrêtez-vous devant la 10ᵉ tombe. C’est là que reposent les restes, de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la modeste pierre, tous ses noms, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : Mort pour la France à l’âge de 28 ans. Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription. Elle sera ainsi libellée : Philippe Henriot, mort pour Hitler, fusillé par les Français. Bonne nuit monsieur Henriot, et dormez bien, si vous le pouvez. Si Pierre Dac est à Londres au côté du général, des Juifs s’engagent aussi dans le maquis et la résistance intérieure. Parmi les plus héroïques, les Juifs étrangers de la main d’œuvre immigrée, qui combattent dans les FTP. À Grenoble, une explosion détruit des quartiers entiers, 1500 blessés, à Bourg en Bresse, les boutiques sont saccagées le jour des obsèques du général Debeney. Telles sont les œuvres de terroristes étrangers et presque tous Juifs, Arméniens, Juifs Polonais, Espagnols Rouges, Juifs Polonais. Encore un juif polonais. Moi, je fais partie d’une famille de grands résistants. Dans ma famille, mon frère était dans les Forces françaises libres, ma sœur était dans les maquis. J’ai un oncle qui a assassiné un allemand, rue des Saussaies pour ne pas parler et qui s’est jeté par la fenêtre ensuite et qui est mort évidemment, rue des Saussaies. Mon père était mêlé aussi, à des gens qui étaient dans la résistance, donc, je suis d’une famille, honorablement française de ce point de vue là. Si elles étaient toutes comme ça, ce ne serait pas si mal ! Il faut se rendre compte de l’effroyable danger qui menace la civilisation. Richard Wagner a dit :. "Le Juif est le démon plastique, de la déchéance de l’humanité." Comment ne point se souvenir de ses paroles, en regardant ces visages où s’inscrit une cruelle bouffonnerie. Comparons le Juif à un rat. Il est inutile de rappeler que partout où paraissent les rats, ils portent avec eux la destruction, anéantissent les biens et les vivres, propagent d’effroyables maladies. Ils sont rusés, lâches, cruels, et ils surgissent le plus souvent en masses énormes. À la radio, vous entendiez : "Les Juifs sont les rats de l’humanité. Les Juifs, c’était moi, c’étaient mes parents. Nous étions les rats de l’humanité, les auteurs de tous les malheurs du pays. Nous étions les auteurs de tous les malheurs du monde. Nous étions les profiteurs, les exploitants, les sangsues… Toute l’ignominie, la propagande antisémite, qui est aujourd’hui intéressante à lire. Quand vous l’entendez, vous avez onze ou douze ans, vous la percevez au premier degré. Et c’est vrai qu’avec mon frère, en dépit de l’interdiction absolue de ma mère, nous avons été voir, l’exposition au Palais Berlitz. C’était avant l’étoile. Donc, nous sommes allés. J’avais treize ans et je suis forcé de dire, que ça nous est apparu grotesque. À Paris vient de s’ouvrir l’exposition, Le Juif et la France. Pendant les 3 premiers jours, 13 000 personnes, ont visité ce remarquable ensemble, où les documents, les photographies, réalisent une démonstration flagrante du péril juif, dans tous les domaines de l’activité nationale. Statistiques, graphiques, tableaux hallucinants se succèdent. Ils prouvent combien la France, victime de sa générosité et de ses traditions d’hospitalité, s’était enjuivée, surtout depuis 1936. Sur 100 français, de vieille souche française, 90 au moins sont de vrais blancs, purs de tout autre mélange racial. Il n’en est pas de même des Juifs. Celui-ci est issu de métissage accompli, il y a déjà plusieurs millénaires entre des Aryens, des Mongols et des nègres. Le Juif a donc un visage, un corps, des attitudes, des gestes qui lui sont propres. C’est une époque sauvage, terrible pour des enfants, des jeunes adolescents… Là, vous devenez adulte très vite. Très vite. En voilà par exemple qui ont déjà pris des habitudes un peu plus mondaines. Leur père vivait encore au ghetto, mais eux ne l’ont peut-être pas connu. Ici, dans la deuxième et la troisième génération, l’assimilation est presque parfaite, ressembler au peuple qui les héberge, tel est le mot d’ordre. Même ceux que l’on appelle les vieux aristocrates israélites, qui, par des alliances avec une noblesse en dégénérescence, appartiennent depuis des générations aux milieux dits de haute société, sont restés des corps étrangers et doivent être considérés comme tels. On ne distingue plus le Juif, il est l’ennemi. Comment on sait ? Il faut lui mesurer le crâne, à faire des opérations compliquées. Il est habillé comme nous, il se comporte comme nous, il imite nos manières, il passe dans nos universités. Ça, c’est terrible. Gencives bombées. Léger prognathisme. Narines arquées. Espace naso-labial normal. Cloisons très abaissées. Lèvre inférieure charnue. Manifestation de Prognathisme comme une race non européenne. Front étroit. Implantation des cheveux basse. Cheveux épais, gras, luisants. Oreilles normales, sans soudure de lobe. Axe oblique. Paupières supérieures légèrement tombantes. Teint basané, expression générale du faciès plus ou moins judaïque. Mimique non judaïque au cours de l’examen. Mon père n’était plus lui-même. C’est terrible à voir. Il tournait en rond. Il n’était plus lui-même. Partir ? Oui. Comment ? Comment faire ? Essayer. Il avait amené pendant l’été, au bord du lac Léman, je le voyais toujours regarder l’horizon, la Suisse de l’autre côté. Mais plus d’issue, déjà. Et il a été arrêté dans la rafle, de la rue Sainte-Catherine, à Lyon, le 9 février 1943. Comme les nazis, ont quelques difficultés à remplir, leurs trains de déportation, on assiste à des choses terrifiantes, qui sont le vidage de l’hospice, de vieillards Rothschild. Pour déporter de grands vieillards, la déportation des enfants, toutes ces choses-là… À partir de Drancy. Les flics rentrent chez mes grands-parents, ma grand-mère est au lit, elle a une colique quand elle les voit, donc, ils décident de ne pas la prendre, parce qu’il y a quand même le respect de l’uniforme. Et ils prennent l’aveugle, mon grand-père. Comme il ne descend pas assez vite et qu’ils ont beaucoup de boulot, ils le portent dans l’escalier jusqu’à l’autobus. Mon grand-père est parti un mois avant mon père, tout en ayant été ensemble à Drancy, pendant un certain temps. Mais je dois prévenir mon mari ! Allez les enfants ! Poser les valises. Posez vos valises là. Prendre les valises et partir. J’oubliais même de fermer ! Ne vous bousculez pas. – Je suis ancien combattant ! – Qu’est-ce qui se passe ? J’ai fait la guerre de 14, il n’était pas encore né. Je vous expliquerai au commissariat, je vous le promets. Dès mars 1941, les Allemands procédaient à l’arrestation de milliers de Juifs étrangers avec le concours de la police française. Mais les déportations massives ont lieu en 1942. À Paris, la besogne est confiée à la police municipale. Les 16 et 17 juillet, plus de 13 000 Juifs, sont entassés au Vélodrome d’hiver, puis envoyés dans les camps de Compiègne, Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Drancy. Écoutez ce qu’il s’est passé ici dans un camp on nous a amenés. La vie est amère comme la bile On gît sur la paille comme dans une étable Le gouvernement de Vichy n’a pas réfléchi longtemps pour envoyer ses convocations le soir à dix heures. La nuit, le froid nous a fait frissonner et le matin à 7 h, on s’est présenté Étaient-ils suffisamment éclairé, pour prévoir le pire ? Il y a une histoire très simple, ce sont les optimistes et les pessimistes. Les pessimistes sont à New York. Et les optimistes sont à Drancy. Donc être pessimiste, c’est extrêmement difficile et il faut avoir les moyens de l’être. Je me demande s’il n’y a pas parfois, une espèce de cécité volontaire, en face de certains périls. Cette cécité fait, qu’on n’est pas capable d’apprécier exactement le moment où ça bascule et où ça devient vraiment dangereux. Je me souviens avoir dit à mon père : "Là où on ira, ce sera très dur, mais peut-être qu’on se verra le dimanche…" Mais mon père m’avait dit : "Là où on va, toi, tu reviendras peut-être, mais moi, je ne reviendrai pas." On ne sait pas où on va, alors, on dit : "on va à Pitchipoï". Et Pitchipoï, ça veut dire… Le lieu d’où on vient, le lieu dont on rêve. L’autre lieu qu’on ne connaît pas, le là-bas. Et donc on ne sait pas où on va. Mais je pense que dès qu’on est arrivés, mon père a compris sans doute, où on allait, qu’on était en Pologne. On était retourné, c’était retour à l’envoyeur. À partir de 1942, Vichy devient complice à part entière de la solution finale. Longtemps pourtant, les casques allemands, ont occulté les képis français. Klarsfeld a montré que pendant très longtemps, on nous a abreuvé de photos du camp de Pithiviers, dont on avait soigneusement caché, occulté, les gendarmes français. En 1956, le gouvernement, par la voix de son secrétaire d’État à L’information, exige du réalisateur Alain Resnais, qu’il maquille un plan de son film Nuit et Brouillard, où apparaît un uniforme français. Effectivement, on avait souvent l’impression que c’était la Gestapo, les Allemands. C’étaient les Allemands. Il y a même un type qui a fait un film, dans l’immédiate après-guerre, où on voit des Allemands, des bottes, montés des marches et arrêtés des gens. Je lui ai dit : "Mais ce n’étaient pas des Allemands." "Ah oui…" Des années après, 35 ans après. "Ah oui", mais dans notre tête c’étaient des Allemands. Pourquoi est-ce que c’est la police française, qui a arrêté les juifs ? Parce que les autorités de Vichy l’ont exigé, parce qu’il était intolérable pour les autorités de Vichy, que ce soit les Allemands qui aillent en France, arrêter des gens qui vivaient en France, que c’était à la police française d’arrêter, ceux qu’il fallait arrêter. Prendre au nom de l’autorité de la France, prendre la responsabilité d’arrêter des gens pour les remettre tout de suite aux Allemands, c’est une chose impensable, mais qui a été pensée. Monsieur Bousquet l’a pensé et l’a exigé et l’a négocié. En juillet 1942, le chef du gouvernement, Pierre Laval, propose aux autorités allemandes que les juifs de moins de 16 ans, soient également raflés. Les nazis pourront remercier le régime de Vichy et notamment le secrétaire général de la police, René Bousquet, qui a su prêter une aide précieuse à l’occupant, sans le secours de la police et de l’administration française, les moyens logistiques des Allemands pour procéder aux rafles, auraient été insuffisants. Il y a un affrontement entre la France que l’on aime, la France républicaine, celle qui nous a apporté tant et puis une autre France, mais qui est aussi la France, celle de la trahison, celle de l’affaire Dreyfus, celle de Vichy. On ne peut pas dire que Vichy est une simple parenthèse. On ne peut pas dire que c’est un accident de l’histoire. C’est là, c’est comme une tache. Je crois que la meilleure façon de lutter efficacement, c’est d’assumer son passé. Assumer le passé. Le film de Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié, interdit à la télévision jusqu’en 81, sort au cinéma en 1971 et brise l’image fabriquée au lendemain de la guerre, selon laquelle la quasi-totalité des Français, étaient du côté de la Résistance, tandis que seule une poignée de traîtres, avait versé dans la collaboration et le soutien à Pétain. Dès l’automne 40, Vichy se hâte de publier, les décrets juifs. Dans les annonces du Moniteur, un commerçant de Clermont, avertit son aimable clientèle qu’il est Français de vieille souche. Monsieur, c’est vous, Marius ? C’est moi, Marius. Il y avait beaucoup de magasins juifs, ici, dans cette ville ? Oui. Vous avez dû voir pas mal de choses. C’est-à-dire, vous voyez, ils sont partis. Ils se sont exilés. Ils se sont exilés mais il n’y a pas eu d’arrestation ? Si, un peu partout. Vous les avez vus ? Hélas, oui. Dites-moi, au moment de la parution, de ce qu’on appelle les décrets juifs. Il paraît que vous avez fait paraître une annonce. C’est exact. C’est une annonce dans le moniteur. Vous êtes bien renseigné, monsieur. C’est exact. Figurez-vous, monsieur, nous étions quatre frères. C’est la réponse que j’ai faite, parce qu’ils me disaient. "Juif !", j’ai mon nom qui est à consonance juive, puisque je m’appelle Klein. Mais je suis catholique quand même. Alors, justement, j’ai eu des inquiétudes. On m’a inquiété à ce sujet. Alors, j’ai répondu. Ayant eu quatre frères mobilisés, ma foi, j’étais français ! C’est ça, vous avez tenu vis-à-vis de votre clientèle, à ce moment-là, à dire que vous n’étiez pas juif. C’est exact. Mais pour quel motif ? Il était paru que j’étais juif et on arrêtait les Juifs et on était tous contre les Juifs, comprenez-vous ? J’ai dit : "Il n’y a pas de raison. Je ne peux pas m’intituler juif, du fait que je suis catholique, comprenez-vous ? C’est là que j’ai fait, comme vous dites, j’ai fait paraître une annonce, ayant eu quatre frères en guerre, dont un a été tué et les trois autres prisonniers. Il y a des tas de Juifs qui ont eu aussi des frères tués, pendant la guerre de 14. Écoutez, je n’ai jamais fait de racisme. Alors qu’ils soient juifs, qu’ils soient mahométans, je ne voyais qu’une chose, c’est celui qui faisait son devoir. Je le considérais comme Français, comme moi, comme les autres. Comprenez-vous ? La lettre de dénonciation de mon oncle, Elle avait été faite, par une femme qui était domestique, dans l’immeuble à l’étage au-dessus de notre appartement. Et qui a été arrêtée et jugée. Ma mère est allée au procès et elle posait la question. Elle lui a dit : "Pourquoi avez-vous fait ça ? Il n’était pas gentil mon frère ? Si, c’est un homme très gentil. Pourquoi vous avez fait ça ? Parce que j’ai eu la moitié des meubles. Vous comprenez, il y a toute la bassesse et puis aussi tout le courage. Les habitants du Chambon-sur-Lignon comptent parmi ces milliers de Français, qui sauvèrent tant de Juifs dans ces années noires. Bravant tous les périls, résistant à la peur des délateurs, ces Justes ont fait le choix du courage et de l’entraide. D’autres ailleurs, ignorant même qu’ils cachaient des enfants juifs, deviendront des héros malgré eux. Que font-ils encore, raconte ? Tous les vendredis soir jusqu’au samedi, ils font leur sabbat. Qu’est-ce que c’est ? Le sabbat, c’est une espèce de fête, ils éteignent l’électricité, ils mettent des bougies. Ils mangent avec le chapeau sur la tête. Comme si je mangeais avec le chapeau sur la tête ! Tu gardes bien ton béret. Je garde mon béret, ce n’est pas un chapeau. Et tiens-toi bien, le samedi, ils ferment boutique. Plus question de faire des affaires. Ils reprennent les affaires le lundi et puis te le font payer cher, leur sabbat ! Jésus, il était juif ? À ce qui parait ! Alors, Dieu aussi, il est Juif. Mais non. Mais si, mémé m’a dit que Jésus était le Fils de Dieu. Alors si Jésus est Juif, son Père aussi. Si tu écoutes tout ce que va te raconter mémé, tu n’as pas fini ! À toi, que t’ont-ils fait les juifs ? À moi rien. Il manquerait plus que ça ! Le plus beau mot que je connaisse, sur cette histoire de la société française et les juifs, c’est celui Nordmann. Il a tissé, entre les juifs et la France, une histoire d’amour qui a mal tourné. C’est le plus beau mot que je connaisse sur l’occupation. C’est l’histoire d’amour qui a mal tourné. C’est terrible ! Alors, ça a tué des gens. Voilà, beaucoup. Mais c’est une tragédie, pas que pour les Juifs. C’est une tragédie de l’humanité. C’est l’être humain qui est mis en doute là-dedans. Ce n’est pas le fait, c’est que des êtres humains, puissent devenir aussi stupides. Alors ceux qui étaient cupides, qui faisaient ça pour voler, ou pour s’enrichir, au moins ils avaient, une vision du monde. Mais les autres qui gobaient ça… C’est une tragédie. Ce qui est arrivé, ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah, c’est arrivé aux êtres humains, à l’humanité. Plus de la moitié des juifs d’Europe a été exterminée pendant la Shoah parmi eux, 77 320 vivaient en France. Il me revient en mémoire, il me revient une histoire, il me revient des images. Un village. Mon village. Il me revient en mémoire. Je ne sais pas, comme un songe, cette histoire. Et voilà qu’au loin s’avance mon enfance. Mon enfance. C’était, je crois, un dimanche. C’était, je crois, en novembre. Qu’importe, mais je revois l’usine. Oui, l’usine, se dessine. Tire-toi ! Une rumeur se répand depuis quelques années, aux États-Unis comme en Israël, la France serait devenue le pays le plus antisémite d’Europe. À l’aube des années 2000, brusquement, dans la patrie des droits de l’homme et de l’émancipation des Juifs, des menaces, des agressions, des incendies, composaient les pages d’un nouveau bréviaire de la haine. Depuis l’affaire Dreyfus, l’histoire des Juifs en France, n’a cessé de se vivre avec passion. Une histoire tourmentée faite d’amour et de trahisons, d’enthousiasmes et de deuils. Au début du siècle dernier, un vieux proverbe yiddish disait : "Heureux comme Dieu en France." Été 1944, Paris retrouve ses couleurs. Dans la France libérée, mais restée en proie à toutes les pénuries, à toutes les privations, au milieu des décombres, les survivants reprennent vie dans l’espérance et dans le deuil. Je me souviens, le retour à Paris, c’est la première banane que je vais manger et je demande à mon frère comment on fait. Il ouvre la banane et il mange la moitié ! Toujours la spoliation. Ce que je sais des enfants, de déportés, c’est que ce n’était pas la liesse, qu’on était partagé. Et on continuait à vivre, du côté des familles juives, avec, pour celles et ceux, très nombreux, qui avaient des déportés dans leur famille, avec cette obsession du retour, on ne savait pas l’existence de la Shoah. Paris est libéré, mais la guerre mondiale se poursuit. 1944-1945, presque une année s’écoule entre la libération de Paris et le retour des déportés. Dans les journaux, peu d’informations sur le sort des Juifs. J’étais convaincu que mon père reviendrait. Et autour de moi, les juifs attendaient le retour des leurs, même s’ils avaient des doutes, des angoisses et des tortures morales la nuit, c’est sûr, pour ma mère, j’en étais convaincu. Mais il demeurait cette conviction, presque naturelle chez les jeunes gens, que l’on reverrait les nôtres. Et j’ai compris que ça n’était pas possible, quand j’ai découvert, en avril 45, à ce moment-là, aux actualités, les photographies, les films pris à l’ouverture des camps par les Américains, les Anglais et c’est Buchenwald, Bergen-Belsen. Et je me rappelle très bien, avec mon frère, nous nous sommes dit : "Notre père n’était pas un athlète, c’était un homme plutôt fragile. Ce n’est pas possible qu’il ait survécu. Il ne faut pas que maman voit ses films. Évidemment, elle les avait vus. Et ça a été très long. C’est indicible. Il y a une absence de résignation, à la disparition. Quelle justice il y aura pour les chambres de moribonds, dont le seul avenir était la fosse commune ? Quelle justice il y aura pour le crime des camps de la mort, pour cette danse macabre des juifs et des déportés politiques, qu’un jour, on a jeté dans cet enfer, pour qu’ils y meurent. Et cependant, ils ne sont pas tous morts. Peut-être seulement pour que la voie de l’enfer puisse être entendue. Ici, les squelettes parlent avec leurs plaies et leur vermine. Des hommes ont fait cela. Un peuple a permis cela. Une civilisation nationale a voulu cela. Et pour cela, pour cela aussi, il faudra qu’il y ait une justice. 6 millions de Juifs ont été exterminés pendant la Shoah. La quasi-totalité des Juifs de Pologne, de Yougoslavie, de Lituanie ou de Grèce. Un quart des Juifs de France ont péri dans les camps de la mort. Des 76 000 déportés, seuls 2500 survivront. Moi, je suis revenue en juillet-août 1945, par l’hôtel Lutetia. Il y avait encore devant la porte, des centaines de gens qui montraient des photos, avec des gens dessus, des enfants, qui demandaient : Vous n’avez pas rencontré untel, unetelle ? Elle était là avec cinq enfants et nous, on était exactement, comme les anciens déportés qui nous recevaient. Vous voyez, quand on arrivait à Birkenau et qui nous en voulaient forcément de n’arriver que maintenant. Vous voyez ? Et nous, on disait : "Non, ils sont tous morts. Combien vous dites ? Votre mère et cinq enfants ? Non, ils sont tous morts. Il n’y a personne. Il n’y a pas d’enfants qui reviendront. Il n’y a pas d’enfants qui reviendront, c’est tout ce qu’on disait. On arrivait comme ça, complètement sauvages. Moi, j’étais devenue une enfant sauvage. Quand j’ai eu ma mère au téléphone, je lui ai dit : "Je ne veux pas rentrer. Est-ce que mon père est là ?" J’ai compris qu’il n’était pas rentré, qu’il ne rentrerait plus. C’était tard. Alors, j’ai dit : "Non, je ne veux pas rentrer." Mais on ne pouvait pas me garder à l’hôtel Lutetia. J’étais encore une petite fille. J’étais une gamine. J’étais partie si jeune… Un jour, on me présente, une petite fille qui m’embrasse. On doit partir en vacances dans une colo et l’une des monitrices vient et me dit que c’est une petite fille, qui a été déportée. Elle avait peut-être 2 ou 3 ans de plus que moi et elle m’avait embrassé, j’étais terrorisé. Comme si ça s’attrapait. C’est une sorte de peur. Je me souviens de la peur que j’avais, de la déportation, du mot. Donc, il y avait quelque chose qui s’était… Glissé en moi. Nous étions durs. Comme de la pierre. Voilà ce que nous étions. Il fallait retrouver l’humanité. Papa ? Et maman ? Et Michel ? Tu m’appelais ta petite fille. J’étais presque heureuse d’être déportée avec toi tellement je t’aimais. Papa, comme je voudrais te voir maintenant. Je suis revenue. C’était dur. J’ai vu tout le monde sur le quai de la gare. Tout le monde m’embrassait, j’avais un cœur de pierre. C’est Michel qui m’a émue. J’ai dis : "Tu ne me reconnais pas ?" Il m’a dit : "Si, je crois… Je crois que tu es Marceline." Papa… Mon oncle reviendra par Marseille et là, quand ils descendront du bateau et qu’ils raconteront, on voulait juste les interner, dans un hôpital psychiatrique. Personne ne voulait les croire. C’est pour ça qu’il me dit, au train comme ça, après m’avoir embrassé et pris dans ses bras : "Ne dis rien, ils ne comprennent rien." Vous avez essayé de parler ? Bien sûr. J’ai surtout parlé à ma petite sœur. Elle avait douze ans. Le problème, ce n’est pas simplement la parole, c’est quelle parole peut être entendue et à quel moment ? On ne les a pas laissé parler, on n’a pas voulu de cette parole, y compris dans les familles. Moi, j’avais appris à écrire, quand j’ai su écrire Profession du père : décédé. Puis voilà, c’est tout. Ça passait comme ça. À qui en parler ? Ils courent, ils se bousculent et l’ardeur du soleil, la sève du printemps, l’ivresse des jeux et des cris, les captivent tout entiers par cette joie de vivre. Mais dans la course la plus folle, soudain, quelque chose s’arrête. L’un d’eux cherche une solitude inusitée. Le ballon l’a entraînée plus loin que le réel. L’enfant se souvient du passé. Ils habitent une des maisons de l’OSE, œuvre de secours aux enfants. Peuvent-ils êtres comme les autres ? Ces enfants qui ont vu partir leur père et leur mère et dessinent 100 fois cette scène d’horreur. Ces enfants qui n’ont gardé de la tendresse maternelle, surgis de la cendre des morts qu’un vestige dérisoire. Comment rendre à cette enfance frustrée, la magie de l’enfance heureuse, propice à tous les songes ? Il reste un long travail pour conduire au seuil de la vie, ces adolescents qu’un monde coupable a blessés trop tôt. Puissent-ils devenir un jour, des hommes comme les autres ? On n’avait personne. Personne avec qui parler de nos traumatismes. Il fallait gagner de l’argent, avoir un peu de chance et puis pouvoir se payer une analyse à la quarantaine. Pourquoi les gens en ont marre ? Ils disent : "Il y en a marre, on parle tout le temps des juifs, ils nous emmerdent…" Même s’ils ne sont pas antisémites, ils le pensent. Moi, je sais pourquoi. Parce que la France n’a pas fait le travail qu’elle devait faire après la guerre. Le bruit qu’on reproche aujourd’hui, aux Juifs de faire, c’est l’écho du silence dans lequel, le drame s’est passé. Dans l’après-guerre, on ne distingue pas, ce qui a été la destruction des Juifs, et notamment le fait que eux seuls, avec les Tziganes ont été gazés, en quelque sorte en famille. Et c’est la figure du déporté résistant, Marie-Claude Vaillant-Couturier, témoignant au procès de Nuremberg, qui triomphe par rapport, aux déportés juifs. Des déportés pour faits de résistance, la moitié sont revenus des camps. Des déportés juifs, les déportés raciaux comme on les appelait alors, seulement 3 %, mais gaullistes et communistes qui dominent dans l’après-guerre, veulent effacer la particularité du génocide des juifs. Pour la patrie française, il ne doit y avoir, et il n’y a eu, selon la loi, qu’une seule et même déportation, dont le symbole n’était pas alors le camp d’extermination d’Auschwitz, mais les camps de concentration de Dachau ou Buchenwald. On va effectivement parler de la souffrance des Juifs, mais comme la souffrance des autres. Les Juifs ont pour une bonne part, cette volonté à nouveau de ne pas dépareiller, de ne pas montrer que sa souffrance est particulière. Et puis cette volonté de ne pas faire partie des victimes. Ce sont des années où l’on donne des prénoms aux enfants, qui sont des prénoms français. Des années aussi où il y a un certain nombre, de mariages mixtes. Des Juifs ont décidé de changer de nom, de ne plus apparaître comme voyants, de ne plus donner d’instruction religieuse à leurs enfants, de ne pas les circoncire parce que ça avait été un moyen, de découvrir qui était juif pendant la guerre. Donc effectivement, de tracer un trait, sur leur appartenance juive, ça pouvait se reproduire, donc, il fallait prendre ces dispositions d’ores et déjà, pour être lisse si ça revenait. Être juif, ce n’est pas terrible, ça n’apporte que des malheurs, donc, on ne peut pas dire qu’il y ait une fierté d’être juif. Je crois qu’il y a de la de la crainte. Après la guerre, l’écrivain Wladimir Rabinovitch écrit : Non, jamais plus nous ne serons comme les autres. Nous ne pouvons oublier. Nous n’oublierons jamais. Nous avons été la balayure du monde. Contre nous, chacun avait licence et c’est cela, mes amis, qui nous sépare de vous dans la liberté retrouvée, comme nous avons été séparés de vous sous l’occupation. Nous sommes désormais des séparés et nous sommes aussi les martyrs, c’est-à-dire les témoins, les témoins de l’abjection humaine. Comment vivre dans un pays où la police de ce pays, a arrêté vos parents. Où vous vivez dans une sorte de haine, de ce pays lui-même. Moi, j’avais une sorte de haine des… Des institutions, c’est-à-dire que si j’entrais effectivement, chez les flics, en général, j’ai une voix très forte et ils… Ils s’en souvenaient. Il y avait une sorte d’inconscience chez moi. Il fallait que j’affronte. Mais c’était pareil à la poste. Un jour, j’ai été faire des papiers à la préfecture, un passeport, la dame m’a posé une question, qu’on me pose tout le temps. Comment êtes-vous Français ? Et je lui ai dit : "Comme vous, par hasard." Et elle a appelé les gardes. Ils m’ont jeté dehors. Je l’avais insulté. Je n’aurais pas mes papiers, m’avait-elle dit. C’est vrai que pendant très longtemps, j’étais très agressif, avec ceux qui représentaient une forme, d’autorité légale. Des 11 600 juifs alsaciens en 1940 1701 ont péri en déportation. Ce vieil homme de 83 ans appartient à la seule famille juive, qui demeure encore à Bouxwiller. Seulement, ce vieil homme a refusé que sa synagogue meure, dans ce bâtiment saccagé, profané, il a choisi une pièce. De ses mains, il a effacé les inscriptions injurieuses et colmaté les brèches. Depuis, chaque jour, seul, il vient prier. À la mort du vieil homme, la synagogue sera vendue. Et pour la première fois depuis le Moyen Âge, il n’y aura plus de Juifs à Bouxwiller. L’urgence était de reconstruire. Et ça, je pense que c’est une partie de notre histoire, puisque le fait est que notre histoire, est parsemée de bons moments, de moments terribles, et puis de la résurrection, de la libération, de la reprise de la vie. et donc immédiatement ce besoin de reconstruire. Ça a toujours existé à travers toute l’histoire du judaïsme. À Montreuil sous Bois, la nouvelle Maison de l’ORT, qui réunit ces centres professionnels vient de s’ouvrir. Elle est inaugurée en présence de Monsieur Jefferson Café et de Monsieur Léon Blum, par Monsieur Daniel Mayer. Ce dernier rend visite à tous les ateliers. Cette œuvre a pour but le développement du travail manuel, parmi les jeunes juifs déracinés, victimes de la guerre et du nazisme. Pour cette génération de jeunes juifs français de l’après-guerre, il s’agit désormais de vivre, de revivre après la Shoah. Meurtris dans leur foi et dans leur être, beaucoup tenteront d’étouffer leurs cauchemars, de suspendre leur mémoire pour retrouver un chemin et un avenir. Quand je suis allé pour la 1ʳᵉ fois à Auschwitz, personne n’y allait parce que c’était, la Pologne communiste des années 50. Ça devait être en 56, printemps 57. Et là, à Birkenau, là où vous avez, les blocs de béton, les dalles éclatées, là où étaient les chambres à gaz et les crématoires. Je suis resté très longtemps. J’ai dit la prière des morts. Mon regard a été attiré par trois marguerites, qui avaient poussé, entre les interstices de ces dalles, que les SS avaient fait sauter. Et je me suis penché et pris deux des marguerites. Je fais la visite, je les ai mises dans mon portefeuille. Et nous sommes rentrés à Varsovie et j’ai écrit à ma mère ce soir-là et je lui ai dit : Je t’envoie ça parce que pour moi, c’est l’évidence que la vie est plus forte que la mort. Et dorénavant, je vivrai comme ça. La vie est plus forte que la mort et à chaque fois que j’en ai l’occasion, je le rappelle aux jeunes juifs. J’ai dit, c’est ça, que la vie soit plus forte que la mort. Dans la tradition juive, on dit toujours L’Chaim, la vie. Et j’ai dit, c’est ça le message qu’il faut conserver. À la santé de madame Rosa. Que Dieu vous fasse vivre 120 ans. Celui-là, il ne faut pas m’en parler ! Il n’a qu’à rester là où il est ! Pourquoi, vous ne croyez pas en Dieu ? Dieu, j’ai vu ce qu’il a fait à Auschwitz. Dieu, il a des yeux, il ne voit pas, Il a des oreilles, il n’entend pas, il a une bouche et il ne parle pas. Il est trop tard pour qu’il me demande pardon, parce que ce qui est fait est fait. Il ne me fait plus peur. Alors à mon enterrement, je ne veux pas de Dieu. Je ne veux pas de rabbins, je ne veux rien ! On aura qu’à me mettre sous un arbre. Je serais bien. Il ne faut pas être prisonnier de la mémoire. Il faut avoir la mémoire, ne pas oublier. Et ne pas vivre, avec cette obsession, cette nuit en soi, de la shoah… La vie ! 14 juillet 1947, l’Exodus quitte le port de Sète pour la Palestine 1948 : Guerre israélo-arabe 14 mai 1948 : Proclamation de l’État d’Israël, par David Ben Gourion La nouvelle de la création de l’État d’Israël en 1948, est accueillie avec bonheur par les Juifs du monde entier. Ce petit pays, grand comme la Bretagne, est une oasis, un refuge après la tourmente. Des hommes et des femmes que ne fédère ni leur parler, ni leurs coutumes, ni leurs opinions, se retrouvent autour d’un drapeau, d’une langue, d’une terre. Solidaires, quelques Juifs de France rejoindront les kibboutz du Néguev. Ils seront peu nombreux. Israël est un pays frère, mais pour beaucoup un pays lointain, presque onirique. Moi, je me souviens de la première orange de Jaffa, qui trônait sur la table de la salle à manger. Mon père revenait du marché et il nous a dit : "Devinez ce que j’ai acheté ? J’ai acheté des oranges de Jaffa !" C’était incroyable ! Et ma grand-mère qui décide, elle, d’éplucher l’orange et de la partager. Il y en avait 2 ou 3, il n’y en avait pas beaucoup et elle nous avait demandé de nous asseoir autour de la table et elle avait épluché l’orange et elle disait : "Vous vous rendez compte, c’est une orange de Palestine !" Pour ma grand-mère, c’était la Palestine. Et nous, on se disait : "C’est extraordinaire, c’est une orange d’Israël, c’est-à-dire une orange, qui était bien la preuve que… Oui, la légende était en train, de devenir l’histoire. Une histoire vraie. Ils faisaient refleurir le désert. Il y avait des oranges. Il y avait des arbres. C’était magique. Ces oranges sont énormes et n’ont aucun pépin Les rêves ont le parfum des fleurs d’oranger, mais la terre d’Israël n’est alors guère qu’une promesse. Il faudra encore attendre pour que les juifs français, se passionnent vraiment pour l’aventure sioniste. Dans la France des années 50, les esprits sont ailleurs. Il faut s’intégrer une seconde fois, retrouver la confiance éperdue de jadis, dans la patrie des droits de l’homme, se fondre dans les 30 glorieuses, quitte à taire sa judéité. C’est en France qu’il s’agit d’être heureux à nouveau. La France de Dunkerque à Tamanrasset. Durant la première moitié du mois de juin, ils sont près de 100 000 à avoir abandonné l’Algérie. Si la patrie est bien la terre des pères, alourdie du poids des tombes, alors les Pieds-Noirs disaient adieu à leur véritable patrie, celle où ils allaient, dans leur affolement ou leur désespoir, chercher refuge, mesurait-elle la profondeur de leur drame ? Quel accueil trouveraient-ils en France ? Pour les uns, victimes pour les autres, responsables, n’étaient-ils pas d’éternels incompris ? En 1962, au lendemain de la guerre d’Algérie, des centaines de milliers de rapatriés affluent vers la métropole. Parmi eux, 100 000 Juifs venus d’Oran, de Constantine ou d’Alger, foulent une nouvelle terre. Moi, j’ai quitté l’Algérie à 19 ans, avec deux valises en 2 h. On peut m’expliquer le sens de l’histoire, mais moi je peux vous expliquer le déracinement aussi. Ça a tellement impressionné ma rétine, qu’à chaque fois que je reviens à Marignane, j’ai un choc ! Je revois l’adolescent que j’étais. Arrivant avec deux valises, une pleine de linge et une pleine de livres. Les Juifs pieds-noirs, comme on les appelle alors, ne sont pas les seuls à franchir la Méditerranée à l’aube des années 60. En 1956, Nasser expulse les Juifs d’Égypte, alors que la décolonisation provoque l’exode de nombreux autres juifs, venus des anciens protectorats français, la Tunisie et le Maroc. Si l’immense majorité des Juifs d’Algérie choisit le pays, qui a fait d’eux des citoyens français, la moitié des juifs tunisiens et plus de 80 % des juifs marocains, émigrent en Israël au cours des années 50 et 60. Mais certains préfèreront la France. C’était un atterrissage sans aucune préparation. J’allais en France. Et on avait été au lycée français et on a appris Molière. Donc pour moi, Marrakech, la France, le lycée, c’était la même chose. On m’avait dit qu’il faisait un peu froid. Donc j’imaginais que j’aurais un pull un peu plus chaud. Et puis, ça a été le choc des cultures. Pamiers, je ne savais même pas que ça n’existait… Faute d’enseignement, je connaissais la préfecture qui était Foix, j’avais oublié la sous-préfecture et l’évêché qui était Pamiers C’est où Pamiers ? On m’a dit dans l’Ariège. Il n’y a pas un juif dans l’Ariège. Peut-être avant les cathares, il y en a eu, je ne sais pas ! Moi, je n’arrivais pas là en tant que juif, j’arrivais en tant qu’Oranais rapatrié. Je suis arrivé un dimanche à Strasbourg, tout était fermé. Je marchais… Et à la fin, je rencontre enfin une femme et je dis : "Madame, je cherche une boutique." Alors, elle me regarde, indignée. Elle ne comprenait pas. Elle me dit : "C’est le jour du Seigneur, vous ne comprenez pas ? Je lui dit : "Et alors ?" "Comment "Et alors" ? C’est le jour du Seigneur ! Tout est fermé, c’est normal." Oui, les portes fermées, le ciel gris, la rigueur. L’ordre. La ponctualité. Il a fallu apprendre tout ça. J’ai atterri chez mon oncle Raymond, au 20 boulevard de la Bastille et nous étions cinq familles dans cet appartement. Nous avons vécu un an comme ça et pratiquement tous les soirs, à la gare de Lyon accueillir les arrivants. Si vous voulez, les premiers radeaux de sauvetage, on les a mis à la mer nous-même. Alors un chef de famille et une personne au foyer. Vous allez remplir ce papier, vous allez dire ce que vous avez perdu. En ce moment, je suis dans la rue, je vais à droite, à gauche, on me loge comme ça, je suis dans la mendicité. Heureusement, il y a des braves gens en France, il faut le reconnaître. Nous sommes partis sans un sou. Nous sommes hébergés chez nos enfants et j’ai laissé mon appartement à Oran, fermé. On me l’a occupé et je suis ici, depuis que je suis là, depuis le 19 janvier, j’ai encaissé 43 000 francs des rapatriés. C’est tout. Vous souhaitez retourner en Algérie ? Je voudrais de tout cœur ! Comme disait le monsieur, ils sont très gentils. On nous reçoit très bien partout. Mais qu’est-ce que vous voulez, on a tout laissé ! Moi, je pleure tous les jours ! Des coups de Sirocco, il y en a eu de terribles. Il y en a même dont les gens ne se sont pas remis. Il y a eu des suicides et puis il y a eu des gens, qui se sont laissés mourir. Là encore, je parle de ce que je sais. Ma grand-mère maternelle qui était habillée à l’algérienne, avec des gandouras en velours. Quand elle est arrivée en France, elle devait s’habiller en veuve. Et quand je l’ai vue arriver la première fois, c’était une apparition. Elle est morte 48 h après à côté de moi, elle a fait un infarctus. Ce n’était plus la vie pour elle, ce n’était pas ça la vie. Mon cœur vous appelle, il est meurtri. J’aime toutes les villes, un peu plus Paris. Comme l’Algérie. Comme elle est belle. Pour tout l’or du monde. Le plus dur, c’était la préparation du repas du shabbat. Par exemple, ne pas retrouver les ingrédients pour faire le couscous. On trouvait des courgettes, mais pas les courgettes comme là-bas. Ce n’était jamais comme là-bas. Ce n’était pas un vrai Shabbat, c’était un shabbat d’exilés, qui n’avait pas les couleurs de là-bas. Quand je regardais le bleu du ciel, je disais à mon cousin : "Ils ont passé le ciel à la lessive. Ce n’est pas du vrai bleu, ça !" Et il n’y avait pas les printemps éclatants symphoniques, qui a fasciné Delacroix, Matisse, ce n’était pas du petit calibre, Delacroix et Matisse. Ils étaient fascinés par ces couleurs. Et nous aussi, on était fasciné. On a retrouvé comme ça, c’était complètement abrasé, dans des tons mineurs, un peu dépressif, un peu atone. C’étaient des shabbats. On allait au marché de l’Aligre, on revenait, mais comme un pêcheur qui revient bredouille, qui va pêcher au thon, il revient avec un maquereau. Ce n’était pas ça. Et après, le goût de la vie, a redonné du goût aux choses. Ce qui est important pour la communauté, tout d’un coup, elle a eu l’impression d’une transfusion de sang. On arrivait massivement avec beaucoup d’enfants, avec beaucoup de joie de vivre, avec beaucoup de coutumes, avec beaucoup d’exubérance. Et je crois qu’on a apporté un regain de vie, à une communauté qui sortait meurtrie de la guerre. Et c’est peut-être ça qui a prédominé. Monsieur Faussemagne, préfet de l’Isère, présidait la cérémonie d’inauguration, de la maison communautaire israélite de la ville. Elle permettra désormais d’accueillir 250 familles, drômoises et ardéchoises. Les réfugiés sont le renouvellement du judaïsme, déclare le président du Fonds social juif unifié. Le consistoire israélite fait appel à ses donateurs, lance ses premiers chantiers et bientôt de nouvelles synagogues et centres communautaires voient le jour à Villiers-le-Bel ou à Sarcelles. 5 000 Juifs vivaient à Marseille en 1945. En 1962, ils sont 65 000. Un bouleversement démographique. Des lieux de culte désaffectés retrouvent des fidèles, dans des villes de Bretagne ou d’Auvergne, une vie juive s’organise. Après Paris, j’étais à Montpellier, c’était une petite communauté, où il n’y avait même pas un vrai rabbin. Et donc les synagogues ont été réhabilitées, notamment le jour de Kippour, des affrontements terribles, entre les Constantinois, les Algérois, les Sétifiens, chacun voulant chanter comme là-bas. Sauf qu’on n’était plus là-bas. Alors, il fallait vraiment faire régner l’ordre. S’engueuler le jour de Kippour, il faut le faire ! On l’a fait, dans la synagogue ! Les juifs d’Afrique du Nord, nous ont un petit peu décomplexés, c’est vrai, ils nous ont décomplexés, un, parce qu’ils n’avaient pas connu la Shoah, ils n’avaient pas cette vision tragique de notre histoire. Deux, parce qu’ils ont importé directement leur judaïsme, tel qu’ils le vivaient en Afrique du Nord, qui était un judaïsme chaleureux, un judaïsme expansif, façon Enrico Macias, on va dire. Quand on décide de faire un repas de Roch Hashana ou de Pessah, quand on est ashkénaze, on ne se pose pas de problème, on fait toujours la même chose, *** pour Pâques et compote de fruits secs. Les recettes juives ashkénazes, vous faites un livre, pas plus. Et puis, brusquement, on voyait arriver des cuisines gaies, des cuisines variées, des cuisines colorées, plein de recettes ! Là, nous mettons, de la viande, du gras, beaucoup de cumin, de poivre… – Vous la faites réchauffer ? – Oui, bien sûr ! C’étaient des ovnis. Moi, je n’avais jamais vu ça. Nous, nous prenions la vie très au sérieux. Ce qui n’est pas drôle. C’est-à-dire qu’on ne s’occupait jamais de futilités. Les Ashkénazes, quand ils s’organisaient, s’occupaient de grandes choses. La révolution… De choses très graves. Ils sont plus gais, ils ont des fêtes beaucoup plus joyeuses que nous. Mais ça vient de leur culture du soleil, des fruits, des odeurs, de la Méditerranée. C’est vrai, vous êtes un très bon vendeur. Et depuis votre arrivée, le rayon des fruits et légumes, a augmenté son chiffre d’affaires. Merci, Monsieur le directeur. Toutefois, il convient de régler quelques petits problèmes. Regardez bien autour de vous ! Vous n’êtes plus à la Casbah. – Bonjour Monsieur Martin, – Bonjour, Madame. Donc, on ne crie pas, on ne reçoit pas continuellement sa famille, je devrais dire sa tribu ! On n’appelle pas la clientèle par son nom et on ne m’impose pas des produits couleur locale. En un mot, cesser de nous envahir et restez à votre place ! Enlevez-moi cette cochonnerie ! La bougie "Kisenbon"… Comment ? Vous avez raison, monsieur le directeur. Simone, à votre caisse ! Je suis un juif pied noir français. Et vous pouvez lire de droite à gauche ou de gauche à droite, l’essentiel, c’est quel tiercé ? Le tiercé est le plus souvent dans l’ordre, souvent dans le désordre, mais je veux retrouver mes trois chevaux gagnants. Nombreux sont les Juifs d’Algérie qui connaissent par cœur, la géographie de la France, du plateau de Millevaches au Territoire de Belfort, tout comme l’histoire de leurs ancêtres les Gaulois. Depuis toujours, ils ont été éduqués dans l’amour de la République. Les écoles, c’était l’école Victor Hugo, l’école Voltaire, l’école Jean-Jacques Rousseau, l’école Jules Ferry, l’école Ferdinand Buisson, tout le réseau des écoles étaient des grands noms, de ce que l’on appelait les Lumières ou bien de la République. Ça, c’est extraordinaire ! En France… Le lapsus ! En Algérie. Et en Algérie, il y avait des villages qui s’appelaient Anatole France, Victor Hugo. Même des gens moins recommandables comme Thiers, Lamoricière, évidemment, le général de la Conquête. Il y avait des villages entiers qui avaient des noms, de personnalités françaises. Francophones pour la plupart, les Juifs d’Afrique du Nord vont vite s’intégrer dans le pays. La communauté juive de France saura les accueillir avec plus de chaleur, qu’elle n’avait reçu les Juifs d’Europe de l’Est avant la guerre. Juifs ashkénazes et juifs séfarades, apprennent à vivre ensemble. J’ai appris que j’étais séfarade que lorsque je suis arrivée à Strasbourg. Je savais que j’étais juive, mais pas séfarade. Chez moi, on n’a jamais dit séfarades et ashkénazes. On a dit des juifs de Pologne, des Juifs d’Allemagne, d’Alsace, de Turquie, d’Algérie, du Maroc, du Liban, d’Égypte… On ne disait pas séfarades et ashkénazes, non. Un jour, ma jeune sœur, dans la cour de l’école, se fait traiter de sale séfarade. Et comme elle ne savait pas quoi répondre, elle a répondu "sale juive" à sa camarade. Et alors la copine ashkénaze, indignée, va chez le surveillant général, qui punit ma sœur, mais après, elle a appris, qu’on pouvait dire "sale ashkénaze". Ce monde des juifs d’Europe, ce monde d’Ashkénazes, je l’ai découvert à mon arrivée en France. Et ça grâce à des passeurs qui me racontaient, leur bible à eux. Eux, c’était autre chose, c’était la Shoah, le ghetto de Varsovie, Cholem Aleikhem, c’étaient des histoires juives absolument incroyables, des scènes, ce théâtre yiddish, tout ça m’a énormément formé. L’esprit, la sensibilité. Je ne leur ai jamais dit, mais ce sont des gens qui m’ont énormément appris. Mais eux, ils ne se sont pas beaucoup intéressés à nous, je peux le dire. On était des espèces de… De gens un peu rigolos. Assez optimistes. Aimant faire la fête. Rigolant. Des espèces d’Espagnols arabes… Une espèce de race absolument incroyable qu’ils ne soupçonnaient pas. Ça les a un peu… Ils étaient méfiants. Un humour quand même, ils reconnaissaient. Un humour juif mais qui n’était pas le leur. Ce n’est pas du mépris, c’est de la méconnaissance. C’est un peu… On était un peu leurs "bicots" Comme il s’est passé en Israël d’ailleurs. Et après, ils étaient très étonnés qu’on sache tellement de choses, certains. Puis… Je crois qu’ils ont fini par nous adopter ! J’allais le long des rues. Comme un enfant perdu. J’étais seule et j’avais froid. Toi, Paris, tu m’as pris dans tes bras. Je ne la reverrai pas. La fille qui m’a souri. Elle s’est seulement retournée, voilà. Mais dans ses yeux, j’ai compris. Que dans la ville de pierre où l’on se sent étranger. Il y a toujours du bonheur dans l’air, pour ceux qui veulent s’aimer. Et le cœur de la ville a battu sous mes pas. De Passy à Belleville, toi, Paris, tu m’as pris dans tes bras. De la presqu’île du Sinaï au golfe d’Aqaba, de Jérusalem au Caire, ce sont les mêmes violences verbales, les mêmes préparatifs guerriers. En quelques jours, le Moyen-Orient est devenu une poudrière. Tous les États arabes sont mobilisés et Israël, encerclé, se prépare à subir cette guerre totale, que ses ennemis lui promettent. La fièvre monte. Après plusieurs incidents frontaliers entre la Syrie et Israël, puis le retrait des casques bleus stationnés en Égypte, le président égyptien Nasser décide, le 22 mai 1967, de fermer le golfe d’Aqaba. Israël, sans débouchés sur la mer Rouge, se retrouve désespérément isolé. Le 26 mai, Nasser déclare : "Notre objectif essentiel sera la destruction d’Israël." J’ai eu, comme beaucoup de juifs à ce moment-là, le sentiment de… Une menace réelle sur l’existence de l’Etat d’Israël. Rappelez-vous les déclarations tonitruantes de Nasser. S’il ne s’agissait de rien moins que de… à nouveau faire disparaître Israël et jeter les Israéliens à la mer. Moi, quand j’entendais : "On va jeter les Juifs à la mer" je me disais, on va me jeter à la mer aussi. Il y a une identification qui est toujours présente. Et c’était terrible. On a tous vécu dans cette espèce de panique totale. De la disparition de l’État d’Israël. Et c’est à ce moment-là que l’État d’Israël a fait irruption dans nos vies. J’avais un grand carton, avec tous les journaux que je pouvais trouver, ramasser ou qu’on avait à la maison. La première surprise, ça a été de voir, en première page de journaux, écrit "Israël". Pour moi, ça faisait partie de mon histoire intime, de l’histoire de ma famille. Et puis on entendait Israël parler hébreu. On n’était pas habitués à ça. Les Juifs se sont sentis attachés à Israël par les tripes, franchement par les tripes ! J’ai entendu des propos. incroyables, de gens qui étaient profondément français, ancien officier important, des gens totalement intégrés, qui me disaient : "Mais au fond, mais nous sommes citoyens israéliens." Si vous relisez Raymond Aron, il le dit et lui découvre, tout d’un coup, ce qu’il y a de profondément juif en lui, à travers aussi cette idée, que ça va recommencer. La menace d’extermination retentit de nouveau, s’alarme le philosophe Raymond Aron, pris par une émotion qu’on ne lui connaissait pas. Juif déjudaïsé et passionnément Français, comme il aime à se définir, Aron, dans un mouvement irrésistible de solidarité, écrit dans Le Figaro du 4 juin : Si les grandes puissances, selon le calcul froid de leurs intérêts, laissent détruire le petit État qui n’est pas le mien, ce crime modeste à l’échelle du nombre, m’enlèverait la force de vivre et des millions d’hommes, auraient honte de l’humanité. C’était insupportable l’idée, qu’il pouvait y avoir deux Auschwitz, dans la même génération. Josy Eisenberg me téléphone un matin, en me disant : "Théo, il faut faire une grande manifestation, une grande manifestation silencieuse." Il y avait le film : Le vieil homme et l’enfant. Et je demande à l’acteur, Michel Simon et au gosse, de la famille que je connaissais, on prévoit qu’à un moment donné, ils vont arriver, j’avais essayé d’organiser le service d’ordre, pour qu’on leur laisse un passage et qu’on les voit passer pour aller à l’ambassade et entrer dans l’ambassade. C’était une image qui me paraissait très belle. Ce 31 mai 1967, des milliers de Français, juifs et non-juifs, foulent le pavé parisien. La menace de Nasser a bouleversé les cœurs et les esprits. Dans un immense élan de solidarité, ils se retrouvent devant l’ambassade d’Israël. Il y avait des vedettes du spectacle. Johnny Hallyday en tête de la manifestation pro-israélienne. Les rues étaient pleines. C’était une manifestation de masse. C’était la rencontre avec beaucoup d’autres Français, qui sont venus manifester avec les Juifs de France. Il y a eu un sentiment de solidarité et c’est ça qui a atténué le traumatisme, parce qu’on ne l’a pas vécu tout seul. Oui, ça a été une période, où le sentiment, que les Juifs étaient compris par l’ensemble des Français. Les manifestations pour Israël, étaient immensément populaires. Et arrondis, les Juifs croyaient au Père Noël. Je vous demande de chanter tous en chœur ! La manifestation n’a pas été silencieuse, elle a fait beaucoup de bruit. Et quelques jours après, je suis arrivé en Israël. Et en Israël, les gens m’ont dit : "Quand on a entendu les cris à Paris, on a eu le sentiment qu’on n’était plus tout à fait seuls." Si les Français manifestent bruyamment leur soutien à Israël, ils ne sont pas suivis par leur président. De Gaulle ne veut pas prendre parti. Le 2 juin, il prévient qu’il donnera tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes. Si Israël est attaqué, avait dit le général à l’État hébreu, nous ne le laisserons pas détruire. Mais si vous attaquez, vous, nous condamnerons votre initiative. C’était oublier qu’en bloquant le golfe d’Aqaba, Nasser était l’agresseur. Ne restait alors à Israël que le choix des armes. En rentrant à midi de l’école, rien n’avait bougé dans la maison. Ma mère était près du poste de radio. Mon père priait. J’étais étonné de le voir à midi, avec son talith sur les épaules et on apprend… Israël est en guerre. Le 5 juin au matin, le canon tonnait au Moyen-Orient. Israël était en guerre contre la quasi-totalité des pays arabes. 2 millions d’Israéliens contre plus de 50 millions d’Arabes. Moins de 300 000 soldats israéliens, contre près d’un million de soldats arabes. La disproportion était énorme. Mais la résolution du ministre de la Guerre d’Israël, le général Dayan, vainqueur du Sinaï, il y a onze ans, était totale, identique à celle du peuple israélien tout entier. Israël doit vaincre s’il veut vivre. Après avoir cloué au sol l’aviation ennemie, la marche des blindés israéliens surprend tout le monde. En six jours d’une guerre éclair, Israël repousse les offensives arabes et du Golan à la Cisjordanie, de Gaza au Sinaï, prend le contrôle de nouveaux territoires. La victoire est fulgurante. Le 7 juin, les soldats israéliens entrent dans Jérusalem-Est et pour la première fois depuis la création d’Israël en 1948, les Juifs peuvent aller prier devant le mur du temple. Oui, je défendrai. le sable d’Israël, la terre d’Israël, les enfants d’Israël. Quitte à mourir, pour le sable d’Israël, les villes d’Israël, le pays d’Israël. Tous les goliaths, venus des pyramides. reculeront devant, l’étoile de David. Je défendrai le sable d’Israël. La terre d’Israël, les enfants d’Israël. On n’a pas eu le temps de frotter nos yeux que déjà Israël avait… Défait toutes les armées arabes, est arrivé à Jérusalem… C’était onirique. C’était un moment onirique. On est passé de la détresse extrême, à l’exultation extrême. Il n’y a aucun psychisme peut supporter un tel grand écart. Il y avait eu la guerre d’indépendance en 48, la guerre de 56, la guerre du Sinaï, il y en avait eu déjà, des guerres. Mais je crois que 67 a été la guerre, que le monde a reçu. Cette campagne des six jours dans sa brièveté et son éclat militaire, c’était une sorte, de réhabilitation à la face du monde, de l’accusation qui avait si longtemps été diffusée, par les antisémites de tous bords et de toutes origines. Les Juifs sont des lâches. Les Juifs ne veulent pas faire leur devoir militaire. Les Juifs n’ont pas de courage, les Juifs sont cupides, intrigants, habiles, mais ils n’ont pas les vertus viriles. Cette nouvelle représentation du Juif, soldat héroïque et valeureux, contribue à populariser l’image d’Israël en France et en Europe. Mais sans doute fallait-il voir aussi dans la sympathie et la solidarité des Français avec l’État hébreu, d’autres satisfactions inavouables. J’étais à l’armée, au service militaire. Et moi, bien sûr, sur mon bureau, je travaillais comme secrétaire à l’infirmerie. Je terminais mon service militaire à Verdun. Sur mon bureau, j’avais mis une grande carte de France, des événements de la région pendant la guerre des Six jours, avec des flèches indiquant les avancées, et je plantais les drapeaux et les officiers disaient : "Alors Paris ? Ils en prennent une raclée, les Arabes ! Mais oui, en 67, on était encore sous le coup de l’affront, de ce qui s’était passé pendant la guerre d’Algérie. Six ans après la guerre d’Algérie. Il y a encore plein de mecs qui ont mangé du fellagha, qui sont en pleine forme là. Parce qu’ils pensent, qu’entre un juif et un arabe, un juif qui met une déculottée aux Arabes, c’est bien. Le général n’est pas du même avis. En porte-à-faux avec l’opinion publique, il veut réconcilier la France avec le monde arabe. Six mois après la guerre des Six Jours, à l’occasion d’une conférence de presse mémorable, de Gaulle, qui n’a pas supporté la décision d’Israël, d’entrer en guerre malgré ses avertissements, semble vouloir régler des comptes. Et certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés. Mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps. C’est-à-dire, un peuple d’élite. Sûr de lui-même. Et dominateur. Ça a été, et à juste titre, très mal ressenti, Qu’est-ce que c’est que cette distinction ? Distinction empoisonnée, sûr de lui et dominateur. Pour quelqu’un qui était un artiste du langage, comme le général de Gaulle. Mais cette phrase, c’était une boule puante ! C’était inadmissible ! Je pense que cette phrase était a été soigneusement pesée, que chaque mot a été pesé, pour blesser et c’était une phrase, dure, d’attaque. Lors de cette même conférence, de Gaulle prononce des paroles plus apaisantes, mais qui passeront inaperçus. En guise d’éloges après l’attaque, le général rappelle le capital considérable de sympathie, dont jouissent les Juifs. Il évoque aussi leur courage et les persécutions, dont ils furent victimes tout au long de leur histoire. Alors certains disent qu’on a mal compris de Gaulle, mais je pense qu’on n’a pas vu un des aspects de cette phrase, qui était que pour la première fois, je pense, un homme politique français de premier plan, parlait des juifs comme d’un peuple. Donc à partir du moment où on parle d’un peuple juif, la marge de constitution de la communauté n’est pas loin. Le peuple juif, pour lui, c’est l’État hébreu, c’est le peuple d’Israël. C’est le peuple d’Israël mais la frontière avec les juifs français n’est pas nette. Donc les juifs français, appartiennent-ils aussi à ce peuple ? On a senti que de Gaulle introduisait un coin, dans la population française. Que tout d’un coup, les Juifs redevenaient une catégorie à part. Que s’il prenait fait et cause pour Israël, dans cet état de menace, c’est parce qu’ils étaient juifs. J’allais dire indécrottablement juif. Enfin, les mots sont les mots… Ces juifs l’emmerdaient… À ce moment-là, on voit que les juifs l’emmerde. Israël l’emmerde, il en a marre de ces histoires. Moi, ça m’a beaucoup choqué. Il y a le dessin de Tim, magnifique, ça racontait tout. Il n’y a pas d’autre commentaire à faire. Un bon titre, le dessin et c’est fini, il n’y a plus rien à dire. Un peuple d’élite sûr de lui-même et dominateur. Une des caricatures les plus célèbres du XXᵉ siècle. Ce dessin de Tim, publié dans le journal Le Monde, du 3 décembre 1967, fera le tour de la planète. Tim, dont les parents sont morts dans l’incendie du ghetto de Varsovie, avait combattu dans la Résistance aux côtés du général. Il y a une part de mystère dans l’attitude de De Gaulle, parce qu’autant on peut comprendre, la volonté de rééquilibrage de la politique française, dans la région après la liquidation de l’abcès algérien. Je comprends. Je crois que la colère y était pour beaucoup. On n’a pas obéi à ses injonctions. Il y avait une part de peur d’une troisième guerre mondiale. Mauvaise appréciation des rapports de force internationaux, l’obsession de jouer à la table des grands. Une certaine fatigue intellectuelle aussi sans doute. Tout ça a joué. Nous sommes en 67, c’est quand même tard. Il va quitter le pouvoir un an après. On oublie ça. Ça a été, je pense, l’une de ces erreurs majeures en politique étrangère. Lui-même a compris que sur cette phrase, il avait dérapé gravement. Il s’en est excusé après, notamment auprès de cette personnalité morale, d’une envergure incomparable qui était le grand rabbin Jacob Kaplan, qui a été affronter le général de Gaulle. C’était un acte courageux parce que ce n’était pas un violent, le grand rabbin Kaplan, mais il a rappelé, dignement au chef de l’État qu’il y avait des choses que nous ne pouvions pas accepter. Le grand rabbin Kaplan à sa manière, c’était un De Gaulle juif. Ce que je peux ajouter, parce que c’est un fait que j’ai vécu, le 1ᵉʳ janvier, le grand rabbin de France, Monsieur Kaplan, était invité à l’Élysée et il nous avait prévenus, il nous avait dit : "Attendez-moi à la sortie, je vous raconterais." Il nous raconte : "On m’a mis dans une pièce à part, le général va venir vous voir. Je me suis dit, voilà ce que je vais lui dire. Je me suis construit un discours, ce que je vais lui dire, par rapport à cette déclaration qui nous a beaucoup choqués. Et finalement, le général arrive. Alors ? Mon général, Monsieur le Président, je ne me souviens plus. Vous avez fait une déclaration, au mois de novembre et je dois vous dire… Et le général l’interrompt et lui dit : "Monsieur le grand rabbin, de Gaulle antisémite, vous y croyez, vous ?" La conversation était terminée. Le grand rabbin était à plat et il est venu nous raconter en disant : "Et alors, qu’est-ce que je pouvais lui dire ?" La guerre des Six jours marque un tournant dans les relations, entre Israël et la France. Pour l’État hébreu, De Gaulle a choisi son camp. C’est la fin d’une amitié inébranlable et d’une indéfectible alliance. De 48 à 67, en passant par le moment de 56, par la campagne de de Suez, c’est la lune de miel. C’était une espèce de symbiose magnifique, entre le sionisme et Israël, la gauche française. Tout allait très bien. Et du coup, ça ne va plus très bien. Et les juifs s’aperçoivent, qu’on commence à regarder de travers, parce que leur pays, par procuration, Israël est devenu moins fréquentable. Les Égyptiens et les Israéliens n’ont jamais été bien d’accord. Parce qu’ils voulaient prendre le canal de Suez. Ça a fait une petite dispute. Si l’Arabie voulait reprendre son pays, elle avait bien le droit. Qu’est-ce qu’un juif pour toi ? C’est un homme qui fait la guerre. C’étaient des hommes un peu noirs, un peu blancs, qui se promenaient dans tous les pays. Ils font du mal aux autres. La victoire d’Israël s’est transformée en occupation et avec le drame des Arabes de Palestine, les Juifs ne sont plus les victimes et la sympathie de l’opinion publique en faveur d’Israël se délite peu à peu. Des Français juifs vont prendre leurs distances, avec l’État hébreu au cours des années 70, tempérant ainsi le soutien inconditionnel des Juifs à Israël. Mais pour beaucoup, cette guerre des Six jours, agit comme un révélateur. Une nouvelle période s’ouvre. Après 67, les retombées, ça a été une recrudescence, d’études de l’hébreu. De retour à des études juives d’ailleurs, de fréquentation de la synagogue. D’émigration vers Israël. Et puis aussi d’une revendication, d’une fierté d’être juif. Donc, il y a eu ces années extraordinaires. On a vu fleurir les maisons d’édition, les cours d’éducation juive, les écoles juives et tout ça, dans une sorte de sentiment, d’être en phase avec la société. La France observe avec bienveillance et curiosité ce nouveau judaïsme extraverti. Une affirmation identitaire. Une révolution pour beaucoup de ces hommes et femmes, qui se voulaient jusque-là plus français que les Français et qui se définissent désormais comme juifs. On est français parce qu’on est dans un pays libre et qu’on peut faire ce qu’on veut et on est juif en portant la kippa, en n’étant pas pareil dans la rue que les autres. Les autres, ils sont pareils, ils ont un blouson et puis nous on a la kippa. Tu penses que c’est important de montrer ? Oui, sinon les gens vont croire qu’on n’est pas juif, alors il vaut mieux montrer, qu’on est juif tout de suite. Je ne suis pas pratiquante. Je n’ai pas l’intention d’aller passer ma vie en Israël. Et pour moi, étudier le yiddish et la culture juive, c’est une façon de concrétiser ma façon d’être juive. Parlez-vous le yiddish ? Les festivals de musique juive suscitent un nouvel engouement. On se passionne pour les cultures minoritaires. Le Scrabble a désormais sa version en yiddish. Beaucoup de jeunes juifs veulent découvrir leurs racines. Une nouvelle génération d’humoristes rencontre son public. Bientôt les ondes vont se libérer et au tournant des années 80, on pourrait presque dire que les Juifs sont à la mode. Alléluia. Alléluia ! Pour demain. Alléluia. La main dans la main. Une ronde va faire le tour Le tour du monde en un seul jour Quand nos voix s’uniront dans un seul mot d’amour. Alléluia Cherche encore Alléluia le bonheur d’abord Alléluia alors, n’oublies pas, toi chanter, c’est prier deux fois, Alléluia Être juif devenait quelque chose d’extrêmement élégant, de très demandé. Les grandes années médiatiques, les années où on s’est beaucoup intéressé à tous les aspects du judaïsme, à la Shoah, les années où on a cru, que cette distinction entre camp d’extermination et de concentration et que la connaissance de la Shoah avaient réellement progressé. Par exemple, Holocauste, le feuilleton américain a provoqué, une prise de conscience énorme en Europe, énorme chez les Allemands, énorme en France. C’est-à-dire que ce n’est pas la qualité qui fait forcément, la force d’un discours. Sans doute, les faiblesses et les approximations historiques du film, étaient elles nombreuses mais la diffusion d’Holocauste, sur les petits écrans français est un événement. Des millions de téléspectateurs, la Shoah et la question juive investissent le débat public. Des lycéens visitent les camps de la mort. C’est encore plus grand que ce que j’imaginais. C’est aussi dans ces années-là qu’une nouvelle génération d’historiens, se penche sur cette période noire, tandis que Serge Klarsfeld met au jour les responsabilités de Vichy, dans la déportation des Juifs. Le film Holocauste mettra pourtant longtemps, avant d’être diffusé en France. Alors qu’il avait déjà été vu un peu partout en Europe, Antenne 2 s’y refusait. Mais certaines déclarations vont avoir raison des réticences. Les chambres à gaz est un endroit où on aurait mis les gens pour les tuer, notamment, dit-on, avec du Zyklon. Le Zyklon est un insecticide, créé après la guerre de 14. Il existe encore aujourd’hui. Donc, on peut dire qu’au bagne d’Auschwitz, on a gazé les poux… Comment on pouvait imaginer, qu’un jour il y aurait des négationnistes et des révisionnistes ? En même temps, c’est à partir du moment où il y a des négationnistes et des révisionnistes, que les témoins se mettent à parler. Ils sont sommés de parler. Et les autres sont sommés d’écouter, puisqu’il y a un débat. Il y a quand même cette idée que ça peut recommencer. Et au moment de Copernic, alors là, c’est géant. Le sentiment, non pas que ça peut recommencer, mais que ça a recommencé. Nous sommes en liaison avec nos envoyés spéciaux rue Copernic, là où une bombe a explosé en fin d’après-midi devant la synagogue, faisant 4 morts et une quinzaine de blessés. Eric Gilbert, confirmez-vous ce premier bilan ? Il est pour l’instant impossible de confirmer un bilan. Plus d’1h30 après l’attentat, c’est toujours l’affolement dans ce quartier proche de l’étoile. La rue Copernic, où s’est produite l’explosion, va de la place Victor-Hugo à l’avenue Kléber Elle est encore bouclée. Je vous propose de revoir ce premier témoignage visuel, qui témoigne de la violence, de l’explosion et aussi de la folie meurtrière de ceux qui ont commis cet attentat. Ces voitures que vous voyez endommagées ou même complètement détruites, sont en effet à près de 50 mètres, de la porte de la synagogue. Il était donc 18 h 35. Il y avait plusieurs centaines de personnes, venues assister à l’office de ce début de sabbat. L’attentat de la rue Copernic frappe de stupeur les Français. Simone Veil, présidente de l’Assemblée européenne et survivante d’Auschwitz, ne peut cacher son inquiétude. Vous m’avez dit rapidement, lorsqu’on s’est vu pour préparer cette émission, je sais maintenant que les progroms existent et peuvent exister. Oui, c’est vrai que je pense que… Ces actes peuvent devenir des violences physiques réelles, aboutissant à la volonté de tuer. Et bien ça se rapproche effectivement, du sentiment qui devait inspirer les pogroms autrefois. La manifestation qui s’est déroulée après Copernic, a été une manifestation gigantesque. Pour ma part, j’ai vu pour la première fois, cette manifestation les francs-maçons en tenue. Les gens qui sont ici ce soir, qui défilent ensemble, c’est peut-être la première fois qu’ils sont au coude à coude, la première fois qu’ils se rencontrent. Hier encore, certains d’entre eux polémiquaient durement et échangeaient des injures ou des insultes. Il y a ici ce soir des sionistes et des antisionistes. Il y a des religieux et des mystiques, il y a des athées et des francs-maçons. Et ces gens-là ont trouvé normal, aujourd’hui d’être ensemble. Parce qu’ils ont vu apparaître, permettez-moi l’expression, la gueule horrible du racisme, la tête immonde du fascisme. Bien plus tard, on apprendra que l’attentat n’était pas l’œuvre de groupes néonazis, mais le fait de terroristes palestiniens. Comme pour la fusillade de la rue des Rosiers, 2 ans après, où six personnes trouveront la mort. Mais ce soir d’octobre 1980, partout en France, des centaines de milliers de personnes défilent dans les rues et demandent au gouvernement de Raymond Barre d’agir. Comment jugez-vous l’attentat de ce soir ? Écoutez, je rentre de Lyon, plein d’indignation. À l’égard de cet attentat odieux, qui voulait frapper, les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé, des Français innocents, qui traversaient la rue Copernic. Non, il a dit un Français innocent. Un passant qui était innocent du fait de ne pas être juif. Comme si être juif, c’est être coupable de quelque chose. C’est ça le fondement de l’histoire. Que des juifs, oui, puisqu’ils sont coupables, c’est normal qu’ils sautent sur une bombe. Mais le Français innocent. Ce n’est pas une injustice du ciel, ça ? C’est une phrase immonde, tout simplement parce qu’il veut dire : Être juif, c’est quoi qu’il arrive, être coupable. Et ça, c’est culturellement antisémite. Je crois que Barre en souffre, encore aujourd’hui. Quand on a sorti une phrase de ce genre, on ne s’en guérit pas complètement. Un acte manqué, un lapsus malheureux, mais qui révèle malgré tout, qu’il y a… Toujours un petit fond. Un clivage, une séparation. On aurait pu attendre du président de la République, une réaction à la hauteur du drame. – Que faisiez-vous cet après-midi ? – Rien. Mais Valéry Giscard d’Estaing reste muet. Il refuse de sacrifier son week-end dans son château du Loir-et-Cher, pour rejoindre Paris. Un silence, prétendent certains, qui pèsera dans l’élection présidentielle de 1981. Si vous posez la question aux Juifs, ils vont vous dire non, il n’y a pas eu de vote juif, il y a eu des Juifs qui ont exprimé leur mécontentement et des Juifs qui avaient l’habitude de voter Giscard, n’ont pas voté Giscard. Comme ces élections se font dans tous les pays démocratiques, les élections ne se font pas avec des écarts de voix de 40 %. Ça se joue sur des petits chouias. Il suffit qu’il y ait un petit déplacement. Aujourd’hui, au Pavillon de Paris, à la Porte de Pantin, se tenait, comme tous les ans, la manifestation des 12 h pour Israël, un ensemble de spectacles et de discussions politiques, mais cette année, le politique dominait. À un an de la présidentielle, le mouvement Renouveau juif, créé en 1979, organise un grand rassemblement à Paris, où se pressent 100 000 visiteurs. Le renouveau juif appelle à un vote sanction, contre le président Giscard d’Estaing, coupable d’avoir vendu des armes françaises à l’Irak. Présent, le candidat Mitterrand fait campagne. Un sondage publié en avril 1981, révèle les intentions de vote de l’électorat juif, 53 % voteraient Mitterrand. Seulement 23 %, Giscard. Nous sommes de bons Français, mais lorsque les intérêts d’Israël sont en danger, les Juifs ne voteront peut-être pas, pour Giscard si Giscard ne change pas sa politique. Politique, bien sûr, mais aussi la fête et pas seulement les chanteurs, un défilé de mannequins présente la mode israélienne, y compris sous son aspect le plus rafraîchissant. L’été approche. La gauche est bien portée à l’époque, pas seulement par les Juifs mais par tout le monde, sinon Mitterrand n’aurait jamais été élu. Chacun projette dans cette gauche toutes ses espérances. La gauche représente à l’époque, une alternative crédible. C’était le slogan "Changer la vie". Pour les uns, changer la vie, c’était changer la diplomatie du Moyen-Orient. Mitterrand avait pour Israël, avant d’être au pouvoir, un intérêt exceptionnel. Il connaissait la Bible mieux que moi. Mais Mitterrand, le judaïsme l’avait toujours passionné. L’histoire du peuple juif le passionnait. Les destins juifs le passionnait. Et je rappelle ce que Mitterrand a fait, discours à la Knesset, qui était un grand acte de courage, que d’autres hommes politiques français n’ont jamais eu. Historique, c’est la 1ʳᵉ fois dans l’histoire de l’État d’Israël, qu’un président français se rend là-bas. La première fois que Jérusalem, est pavoisée aux couleurs de la France. Historique et délicat. Il va falloir normaliser les relations entre les deux pays, après quinze ans d’ambiguïté et de malaise, mais aussi veiller à ne pas provoquer la susceptibilité du monde arabe. C’est vous dire si l’on attendait le moindre mot du chef de l’État. Le ton fut donné quelques minutes après son arrivée à l’aéroport. La Marseillaise et 21 coups de canon, pour accueillir un président français, son épouse, quatre ministres et toute une délégation. On n’avait jamais vu cela sur l’aérodrome Ben Gourion, où débarquent rarement les chefs d’États étrangers. Shalom, amis et longue vie. Je ne me rappelle pas personnellement mais je me rappelle, l’influence prolongée que cet épisode a eue. Ce n’était pas rien, pour les Juifs de France que de voir le Président, prendre la parole en ces termes-là, avec ce ton-là et avec cette conscience de l’histoire, devant le Parlement israélien. Je savais que sa carrière avait été longue, avant d’en arriver là. Pour moi, ce n’est pas un socialiste français qui arrive au pouvoir, c’est un homme qui a été… Un petit peu… Un petit peu vichyssois. Qui a mélangé sa soupe après. Qui a mis un peu de rouge, dans la crème vichyssoise. Puis après, le blanc a complètement disparu. On est resté qu’avec un peu de rouge. C’était ça Mitterrand. C’était une complexité totale. Il était à la fois une chose et son contraire. Alors les gens disaient C’est ça, un être complet. Il était tout. C’était la France dans toutes ses contradictions, dans toute sa richesse et toutes ses saloperies, c’était comme ça. Non, Mitterrand. Non. Je n’ai pas oublié. Des gens comme ça, on ne peut pas leur faire confiance. En 1994, dans un livre retentissant, le journaliste Pierre Péan révèle le passé vichyste de François Mitterrand et ses liens d’amitié prolongés avec René Bousquet. Si ça nous a fait du mal, cette histoire de Bousquet, c’est aussi parce que c’est un amour déçu. On s’est aperçu que pendant des années, il avait fréquenté un homme, qui avait dirigé la police de Vichy, ce n’est pas indifférent. Et ça a été une blessure ressentie profondément. Comme l’a été la gerbe de fleurs, déposée sur la tombe du maréchal Pétain. La couronne à l’île d’Yeu, elle avait bien tort. Je l’ai appris bien après. Il ne fallait pas savoir publiquement qu’il envoyait… C’était son affaire. Mais quand j’ai appris, ce qu’on a trouvé dans le livre de Péan… J’ai fait ce qu’un homme doit faire à l’égard de son ami. Nous nous sommes parlés et ça n’a pas été agréable. Mais je n’ai pas moi publiquement, à dire ce que nous nous sommes dit. Ça ne regarde personne. C’est une affaire entre un ami mort et moi, ça ne regarde personne. Comme Charles de Gaulle ou Georges Pompidou avant lui, François Mitterrand considère que la période de Vichy, est une parenthèse dans l’histoire de la République. Il n’est donc pas nécessaire de troubler la mémoire nationale, de se retourner sur ces années où les Français ne s’aimaient pas. On a attendu de Mitterrand, pendant ses deux septennats, qu’il définisse clairement la position de la France par rapport, à ce qu’avait été le gouvernement de Vichy. Et il ne l’a jamais fait. Non seulement il ne l’a jamais fait, mais il a eu des occasions de le faire qu’il a laissé passer. Je me souviens très bien d’un 16 juillet, justement, probablement dans les années 90, et il a été sifflé par toute l’assistance. Et c’était d’ailleurs la fois où Robert Badinter, a eu une colère, une de ses colères à la Mirabeau, et il a pris la parole. Quand Mitterrand est arrivé, ont commencé ces hurlements. Qui n’avait qu’une dimension politique. Ne vous y trompez pas, c’était une entreprise montée, à son égard. Mitterrand à Vichy ! Mitterrand à Vichy ! Je n’ai pas cessé de penser, bien avant que Mitterrand arrive aux morts, à ses enfants, là, dans ce lieu-là, et m’était revenu, on l’avait dit, le Kaddish, immédiatement après le témoignage du survivant. M’étais revenu comme une obsession, ce que disait ma grand-mère, toujours dans son yiddish, il faut faire attention. Les morts, nous regardent quand on parle d’eux. Et c’étaient ces morts-là, qui m’ont fait exploser. Et j’ai trouvé abominable. Et je le trouve encore. Qui es-tu à cet instant, des Juifs pour faire, une querelle politique minable, alors qu’on commémorait ces martyrs. Et c’est pour ça que j’ai explosé. Parce que Mitterrand n’avait pas besoin qu’on le défende, croyez-moi, ce n’est pas ça. C’était un outrage. Je me serais attendu à tout éprouver. Sauf le sentiment que j’ai ressenti, il y a un instant et que je vous livre avec toute ma force d’homme, vous m’avez fait honte ! Vous m’avez fait honte en pensant, à ce qui s’est passé là ! Vous m’avez fait honte ! Il y a des moments où il est dit dans la Parole, les morts vous écoutent. Croyez-vous qu’ils écoutent cela ? Ils se sont tus d’ailleurs, parce qu’il y a des explosions d’une telle force qu’elles font taire. Tout le monde s’est tu. J’ai fait le discours. Si vous le relisez, relisez les dernières phrases, après que j’ai dit que Dieu, ce jour-là, quand j’ai évoqué ces enfants qui montaient avec les gendarmes, dans les wagons de déportation, j’ai dit, Dieu avait détourné son regard de cette terre. Et à la fin, j’ai dit et ça, c’était à l’intention de Mitterrand, Tout ce que l’on peut faire pour eux sur cette terre, c’est la mémoire et la justice sont les derniers mots. Faire justice. Et ça, ça en disait long, en ce qui concerne Bousquet. Trois ans plus tard, le 16 juillet 1995, sur les mêmes lieux, le successeur de François Mitterrand à l’Élysée, saura trouver les mots tant attendus, par les Juifs de France et par beaucoup d’autres Français. Oui, la folie criminelle de l’occupant, a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’État français. La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés, à leurs bourreaux. Je pense que c’était bien, et même les termes, que ses rédacteurs ont choisis, je pense, étaient mesurés. En plus, il l’a bien dit. Avec des mots un peu solennels. Mais je pense, que c’était tard. C’était tard parce qu’il fallait que l’ancienne équipe, disparaisse. Il ne faut pas croire que la déclaration de Chirac a fait l’unanimité, que la déclaration de repentance des évêques de France, ait fait l’unanimité. L’évêque de Saint-Denis, je crois, parlait des lettres de protestation, qu’il recevait en disant : La France ne peut pas se repentir de tous les péchés du monde. À la suite du chef de l’État, c’était au tour de l’Église de France, à Drancy en 1997, plus de 50 ans après les faits de demander pardon, pour son indifférence et son silence officiel, face à la persécution des Juifs. Cette défaillance de l’Église de France et sa responsabilité envers le peuple juif, font partie de son histoire. Nous confessons cette faute, nous implorons le pardon de Dieu et demandons au peuple juif d’entendre cette parole de repentance. À la fin des années 90, la République semble avoir repris l’offensive. On ne toucherait plus aux Juifs. Personne ne se doute alors qu’un nouveau cycle d’inquiétudes et de violences allait bientôt s’ouvrir. Dans les années de ma jeunesse qui n’est j’espère, pas terminée, mais dans les années de mon enfance en tout cas, les années 80-90, être juif, ça me regardait, ça regardait ma famille, ça regardait un certain cercle d’intimes, mais ça ne concernait pas le regard que la société portait sur moi. Aujourd’hui, c’est comme une charge à porter. Disons que le fait d’être juif, a cessé d’être indifférent pour les autres. Et ça, c’est une révolution qu’on peut dater assez précisément, de la fin de l’année 2000. Parce qu’il s’appelle Jean Blum, sa boulangerie a été incendiée hier soir. Sans être de confession juive, son nom a suffi pour être une cible, un acte criminel signé qui a détruit 30 ans de travail. Ce matin, un attentat à la voiture bélier contre une synagogue, cette fois-ci près de Lyon. Le lieu de culte n’a été endommagé que sur sa façade. Et comme à Strasbourg, pas de témoins. Les auteurs courent toujours. C’est la sixième attaque contre une synagogue en 24 h. Pour l’instant, seuls 3 mineurs ont été pris en flagrant délit, en banlieue parisienne. Depuis quelques jours, les lieux de culte sont toujours, sous surveillance, les responsables des communautés juives et arabes, appellent au calme mais jusqu’à maintenant, cela n’a pas suffi. Pour nos enfants, ça a été un choc, ils ne connaissaient pas l’antisémitisme, ils ne sont pas nés avec. Des petits enfants maghrébins, de la première ou de la deuxième génération. c’était dans Le Parisien, il y a quelques mois, disaient : "Quand on entend la télé, on a envie de cogner des Juifs." Scènes de guerre à Gaza. Des hélicoptères de combat israéliens viennent de tirer une roquette sur une position palestinienne près de l’implantation de Netzarim. Les tirs nourris s’en suivent. Un enfant de neuf ans a été tué. Il y a de nombreux blessés. Scène de guerre devenue quotidienne. Sixième jour d’enfer à Gaza. Avec le déclenchement de la seconde Intifada au Proche-Orient, l’écho du fracas des armes et les cris des victimes, retentissent un peu partout dans le monde, jusque dans les banlieues et les villes françaises. Les Juifs sont à nouveau au cœur d’un débat incandescent. Chacun est sommé de prendre position. Explique-moi le petit juif dans une école religieuse, avec une kippa, se fait casser la figure. Il est responsable directement, d’une répression de l’armée israélienne, dans la bande de Gaza, allez, parlons en. Est-ce que ceci peut expliquer cela ? Non ! Non ! À Marseille, on a brûlé une école juive. Dans la cour de récréation, on a creusé des trous, dans lesquels on a caché des clous, pour que les enfants s’y blessent en jouant et sur les murs, on a écrit "Mort aux Juifs". Je me rappelle m’être demandé ce qu’avaient pu éprouver ces enfants, lorsque le lundi matin, ils ont découvert qu’on voulait les tuer. On a des statistiques, on a des chiffres et on a des enfants qui ont été battus dans les gares, qui ont été insultés dans les autobus, qui ont été humiliés, qui ont été agressés. Pourquoi ? Ils sont dans l’autobus, ils sortent de l’école à 4 h 30. On les attaque sur la ligne du 105, en disant : "Celle-là, je me ferais bien sauter dans un attentat avec elle." Qu’ont-ils fait ? Ils n’ont rien fait. – Vos élèves. – Nos élèves. Le nombre d’attaques, ces quatre dernières années était considérable, Pourquoi ? Donc c’est bien parce qu’ils sont juifs. Alors, je n’ai pas envie de m’installer, dans une posture de victime qui ne m’intéresse pas et qui ne me procure aucune joie. Mais force est de constater que ces dernières années ont été éprouvantes. Qu’est-ce qui domine chez vous ? L’inquiétude, la colère, la tristesse ? L’indignation. L’indignation, l’exaspération, de dire encore mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand ? On a cru que c’était fini, que le nazisme mettait fin, à tous les totalitarismes. Et voilà qu’il y en a un autre qui pointe son nez. Tout aussi dangereux ? Peut-être plus. Depuis l’an 2000, je porte une étoile juive. Et je la porte volontairement. Je n’en ai jamais porté. Pour dire oui, je suis juive et le premier qui vient me dire quelque chose, je l’attend ! Le printemps 2002 connaît un nouvel embrasement antisémite. Au plus fort de l’Intifada, les synagogues de Lyon, Marseille et Strasbourg sont attaquées. Tout se passe comme si les attentats du 11 septembre avaient dopé la violence. Jean Kahn, président du Consistoire central, redoute les prémices d’une nouvelle nuit de cristal, rappelant ainsi le souvenir de l’immense pogrom organisé en Allemagne, en novembre 1938. Ce n’est pas par hasard qu’un certain nombre de gens, et pas les moindres, ait parlé de Nuit de Cristal, alors que ça n’avait rien à faire. Et que transformer les jeunes des banlieues, qui ont commencé à insulter, à frapper et à jeter des bombes incendiaires dans les synagogues, les comparer aux hitlériens, c’est vraiment une erreur historique extraordinaire. Ils n’ont rien à voir. Ils avaient à voir avec les troubles qu’il y avait dans les banlieues avant. C’était une nouvelle cible qu’ils frappaient en fonction des images qu’ils recevaient par la télévision. Il s’identifiait aux Palestiniens, comme les Juifs qui étaient leurs voisins, s’identifiaient aux Israéliens. Et d’ailleurs, c’est un grand tort de la part, de certains Juifs, lorsqu’ils manifestent de s’entourer de drapeaux israéliens, ou de brandir même des drapeaux israéliens, ça n’a pas lieu d’être dans certaines circonstances, parce qu’ils favorisent encore l’amalgame. La nouvelle judéophobie a une dimension internationale dont la France, n’est qu’une province. Mais la France compte dans sa population à la fois la plus grande minorité arabo-musulmane et la plus grande minorité juive d’Europe. Les positions se radicalisent. Si beaucoup de jeunes musulmans s’identifient aux Palestiniens, dans les manifestations contre l’antisémitisme, des juifs français n’hésitent pas à crier : "Israël vivra, Israël vaincra." La confusion s’installe. Combien de fois on m’a dit : "Vous êtes israélienne ?" – "Non, je suis juive." – "Donc vous êtes israélienne ?" Non, je suis israélite, à la limite ! Mais ce n’est pas pareil ? Non, ce n’est pas pareil, c’est autre chose. Mais… Moi, je comprends que ce ne soit pas toujours très clair. Je suis un très grand amateur de football. Je vais voir France-Israël en éliminatoires à la Coupe du monde. Un journaliste de TF1 me dit : "Alors Jean, vous allez être partagé aujourd’hui ?" "Pardon ?" – Vous êtes partagé. – Pourquoi ? "Parce que si Israël gagne, vous serez aussi contents !" Non, si Israël gagne, on est éliminé de la Coupe du monde. Moi, j’ai l’intention d’aller voir la France à la Coupe du monde ! Ah bon ? Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Ça, on l’entend tout le temps. C’est invraisemblable ! Il y a cette assimilation à, les stylos de juif et truc de juif, l’argent… Et surtout que tu es tout aussi responsable, de ce qui se passe en Israël. C’est-à-dire "Vous en avez encore fait des belles à Gaza !" Vous ? Qui "vous" ? "L’armée Israélienne." Je ne suis pas Israélien, ni militaire israélien. Je ne suis jamais allé à Gaza. Ça na peut pas être moi ! Non, mais il faut déconner ! Il faut rigoler. Tu dis : Attend, je regarde mon agenda. Non, j’étais en tournée à Marseille. Que veux-tu faire ? De la même manière que 1967, a été une date clé, dans l’histoire du judaïsme français. Septembre 2000 est une autre date clé. Ce n’est plus la même communauté. Psychologiquement, j’allais presque dire mentalement, ce n’est plus la même communauté. On a affaire à une communauté qui se pose beaucoup de questions. Sur la solidité de la France. Pas de son point de vue à elle, mais du point de vue de la citoyenneté française. J’ai vu monter l’inquiétude et même parfois la panique. Et aussi le ressentiment et la déception. Comment, en France, aujourd’hui ? Et je comprends, je ne dis pas que c’était vrai, je dis que c’est comme ça que ça a été vécu et que de plus, dans ce sentiment, il y avait du vrai. Il y avait une espèce de lâchage par la République de ses propres fils, de ses propres citoyens. Aux premiers incendies de synagogue, on aurait pu s’attendre à un sursaut de l’opinion publique. On se souvient des vastes rassemblements, qui avaient réuni des citoyens de tous bords, lors de l’attentat de la rue Copernic en 1981, ou de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990. Cette fois, rien. Des protestations verbales, certes, mais les défilés sont exclusivement d’origine juive. L’indignation s’est essoufflée, comme si l’identité des nouveaux antisémites, pouvait sinon justifier leur haine, en tout cas leur accorder les circonstances atténuantes. Quand l’ennemi s’appelle fascisme, quand l’antisémite a pour nom Le Pen, alors tout est clair. Quand les injures et les actes les plus virulents ont pour origine, les enfants des anciens colonisés, les exclus des banlieues, nouveaux damnés de la terre, l’antisémite devient respectable. L’antisémitisme s’explique. La violence antijuive est comme un nouveau mode d’expression. Nos nouveaux immigrés deviennent antisémites, ça va poser un problème pour le vieux juif que je suis. C’est-à-dire qu’avoir passé sa vie, tout le temps à dire : c’est bien qu’il y ait des immigrés, qu’il y ait ce mélange, C’est bien, on vit mieux là-dedans, mais en même temps, si ça fait comme aux États-Unis, une fois que la lutte des Noirs, contre l’État cesse, on se dit nos ennemis, ce sont les Juifs. Donc, il y a un petit problème ! Et c’est quelque chose auquel je n’étais pas préparé et auquel peu de gens s’étaient préparés. Ce que j’ai mis. Longtemps à mesurer, c’est une forme de renaissance, de l’antisémitisme. Je n’y croyais pas. Et puis… J’ai mesuré que. À travers l’antisionisme. Mais au-delà de l’antisionisme, s’appuyant sur l’antisionisme, on voyait resurgir les vieux démons, de l’antisémitisme de jadis. C’est pratiquement le même discours. C’est pratiquement le même discours. Les acteurs ne sont pas les mêmes. Les motivations, ne sont pas les mêmes, mais le résultat risque de produire des catastrophes. Le 1ᵉʳ décembre 2003 à 21 h, Israël est à nouveau à l’honneur. L’humoriste Dieudonné, déguisé en juif religieux paramilitaire, est invité en direct sur un plateau de télévision. J’encourage les jeunes qui nous regardent dans les cités, pour vous dire : "Convertissez-vous comme moi. Et essayez de vous ressaisir. Rejoignez l’axe du bien. L’axe américano sioniste. Ça me paraît important. Qui vous offrira beaucoup de débouchés, de bonheur… Représenter un juif qui dit, qu’il s’est converti au judaïsme pour des raisons professionnelles et qui fait le salut nazi en prononçant le nom d’Israël. Et à ce moment-là, le public aurait pu se taire, ça aurait été déjà affligeant. Mais il ne s’est pas tu, il s’est levé et il a applaudi. À ce moment-là, les Juifs devant leur écran de télévision, se sont dit : "Ce n’est pas possible. Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Le dérapage de Dieudonné est inadmissible. Ce n’est même pas tant cette histoire de sketch, c’est ce qu’il a dit après. Une fois ivre, il dit qu’il boit de temps en temps. Une deuxième fois, il fout sa voiture dans un mur, il écrase un enfant parce qu’il était bourré. Après, il bat sa femme, tu peux en conclure qu’il est alcoolique quand même. – Ça va ? – Bien et vous ? Salut Farid. Tu vas bien ? Super, je visite ! Je constate qu’il est là, au milieu d’une table d’amis et je me dis que s’il vient, c’est pour manifester, sa sympathie pour la cause que nous servons. Je pense ! Dieudonné, il accumule les choses, il se radicalise. Le préjudice commis, auprès des jeunes de banlieue, je dirais que ça, il a à en répondre. Parce que tous ces jeunes qui sont nos voisins, on aurait pu habiter avec eux en bonne intelligence. Et ça me désole de voir, qu’un froid s’est installé entre nous. En mars 2003, plusieurs manifestations sont organisées en France, contre la guerre en Irak. Dans le cortège parisien, une centaine de manifestants scande : "Vive Ben Laden ! À bas Israël ! À mort les Juifs !" Des cris de haine inouïe. L’armée israélienne est assimilée aux commandos SS. Si vraiment les Israéliens, avaient voulu rivaliser avec les nazis, ils s’y sont pris très mal. Si c’était ça leur plan, ils sont nuls ! Il y avait 500 000 Palestiniens. Il y en a 4 millions maintenant. Ce n’est pas un bon résultat pour ceux qui veulent génocider. D’ailleurs, il y a quelque chose de… Tant que ce sont les juifs, tout s’explique. Quand ce ne sont plus les juifs, il n’y a plus d’explication. Comme disait ma mère, c’est la faute à pas de chance ! On est pauvre, c’est la faute à pas de chance. Le père est pris, c’est la faute à pas de chance. Beaucoup de gens vivent dans "la faute à pas de chance", sauf ceux qui ont la chance d’avoir des juifs. Quand il y a des juifs, tout le monde en veut ! Ça explique tout, ça explique la misère, ça explique les banlieues… Israël explique la politique du monde. Un couloir. Un corridor. C’est insensé, c’est insensé de penser, que c’est là que ça se passe, que c’est là le nœud ! L’état républicain mettra sans doute trop de temps, à prendre la mesure du désarroi qui touche les Juifs français. Réaction tardive, mais du moins sans ambiguïté. En mai 2003, le président reçoit à l’Élysée, les représentants des institutions juives de France. Aujourd’hui, vous n’êtes plus seul. Contre l’antisémitisme, la France est avec vous. Car c’est bien la France qui est agressée, quand un juif est agressé sur son sol. Car c’est bien la France qui est insultée, quand une synagogue brûle sur son sol, quand des juifs, parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment entendus, soutenus et protégés, perdent confiance dans leur propre pays, c’est notre cohésion nationale toute entière qui est menacée. Nous ne laisserons pas faire l’apologie du crime et de la haine, la France n’est pas un pays antisémite. Jacques Chirac ne convainc pas Ariel Sharon. En juillet 2004, le Premier ministre israélien, invite les Français de confession juive, à se rendre immédiatement en Israël, pour fuir un antisémitisme déchaîné. Le gouvernement français a pris des mesures contre tout cela mais somme toute, si je devais m’adresser à nos frères en France, je leur dirai une chose. Partez en Israël aussi vite que possible. Je suis entré dans une colère froide et évidemment, j’ai écrit aussitôt et j’ai dit, j’écris à la présidence du conseil, J’écris à mon ministère. J’ai dit : "Il faut cesser ça. C’est absurde !" Je crois vraiment qu’il n’a pas compris. C’est encore une fois une question d’image. Il a vraiment vu. Il a vu des pogroms à tous les coins de rue. Dès qu’apparaît à l’horizon quelque chose qui est un peu troublant, ça y est, on croit saisir le mal qui va surgir. L’antisémitisme qui vient, c’est le sous-titre tout de même, d’un livre d’un philosophe intelligent, juif mais intelligent et très intelligent même. Non pas parce que j’étais juif, mais il se trouve qu’il a les 2 qualités. Peut-être que je me trompe. Après tout, je suis peut-être dans une erreur profonde, mais je n’arrive pas à le croire. Je ne peux pas imaginer que dans notre pays, un jour, il y aura, de telles menaces physiques, de telles menaces sur l’existence des juifs, qu’il faut qu’ils partent, je ne pense pas. Ou alors c’est tellement inimaginable que je ne veux pas y penser. Ce serait un malheur épouvantable. Mais oui, bien sûr, c’est possible, bien sûr. Moi, je considère que le destin juif s’accomplit en Israël, maintenant, on a une terre. C’est très difficile de lever les amarres et de tout couper. On a coupé avec le Maroc, il faut encore couper avec la France. Ce n’est pas si simple que ça. Mais je ne veux pas d’un autre Vichy, je ne veux pas de nos écoles, avec 18 caméras. Alors oui, le jour où je partirai de la France, je remercierai le pays, mais je partirai. 200 juifs français, ont décollé cet après-midi de Roissy, pour effectuer ce que l’on appelle en hébreu leur Alya. Traduisez : la montée en Israël. Ils sont jeunes ou plus âgés, ils partent seuls ou en famille. Ils sont poussés d’abord par un idéal, mais aussi par la crainte d’une aggravation de l’antisémitisme, dans les années à venir. Ce départ en groupe très médiatisé, était prévu de longue date. Théoriquement, cette opération n’a rien à voir, avec les récentes déclarations d’Ariel Sharon, incitant les Juifs de France à émigrer en masse. En juillet 2004, une femme partait avec ses enfants pour Israël, près de Tel Aviv, elle quittait la banlieue parisienne, où elle avait élevé ses enfants. Elle pleurait, elle était en bas de l’avion et elle disait : "J’aime la France, c’est mon pays. C’est un très beau pays, je l’ai toujours aimé et je l’aimerai toujours. Mes enfants n’osent plus me raconter ce qu’on leur fait à l’école. La France ne veut plus de nous." Cette dame aujourd’hui ne vit plus en France. À qui la faute ? Est-ce sa faute ? Ou est-ce la faute des camarades d’école de ses enfants ? Alors, je sais que les Français ne sont pas antisémites. Mais les antisémites font précisément pour cela du mal à la France, parce qu’ils la font passer pour ce qu’elle n’est pas. Ceux qui haïssent les Juifs et qui expriment cette haine ouvertement, souillent l’image de leur pays. Et c’est pourquoi les Français qui sont indifférents à l’antisémitisme, je voudrais leur dire c’est naturel qu’ils soient indifférents. Il est normal que les Français ne se réveillent pas tous les matins, en se demandant ce qui est bon ou mauvais pour 1 % d’entre eux. Ce n’est pas pour les Juifs qu’ils doivent se battre, c’est pour la France, pour eux-mêmes, parce que le mal que fait l’antisémitisme à la France, il suffit de lire la presse étrangère pour s’en convaincre, est considérable et disproportionné avec sa réalité. J’ai un ami qui dit toujours les juifs sont les sentinelles de l’histoire et je pense que c’est vrai que chaque fois qu’il y a eu des symptômes de maladie grave, de la démocratie, les juifs ont souffert et réciproquement. Ça a toujours été un symptôme. Je ne dis pas que ça ne peut pas changer demain, ça peut être une autre communauté, mais la manière dont une société traite ses minorités, quel qu’il soit, est symptomatique de l’état de santé de sa démocratie. Quand la République vacille, les Juifs sont souvent les premiers touchés. Si les actes de haine de la flambée antisémite des années 2000, ne sont le fait que d’une minorité, ils sont trop nombreux pour être considérés comme insignifiants. Le malaise existe. Depuis la réhabilitation de Dreyfus, vaille que vaille, la France a résisté aux différents assauts de la haine antijuive. Seule la guerre et la défaite ont permis l’antisémitisme d’État. La France de Vichy devenait complice de la solution finale. Un siècle d’une longue histoire riche d’intégration, mais une histoire inquiète, secouée d’interrogations. Au XIXᵉ siècle, le grand rabbin de Strasbourg, écrivait avec confiance, le drapeau de la République française, c’est l’étendard que l’Éternel a confié à Moïse. Aujourd’hui, la mémoire et l’identité juive semble plus que jamais, liées à notre destin national. Pour la plupart des 600 000 Français juifs, l’avenir s’envisage avec vigilance. Une vigilance qui ne doit pas étouffer l’espoir, d’une fraternité réaffirmée. Il n’y a rien de plus stupide. Plus inepte, que l’antisémitisme ou le racisme. Qu’est-ce que ça veut dire ? Quand on s’interroge, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça ne s’explique que parce qu’il y a, chez les êtres humains, cette propension… monstrueuse, la haine de l’autre. C’est pour ça que l’antisémitisme comme le racisme, sont tragiques. Parce qu’ils s’inscrivent et on les retrouve. À travers tant de métamorphoses et tant de siècles, constamment comme un fil rouge, qui court à travers… L’histoire. Ce n’est pas fini et c’est ça qui me désole. Je croyais que c’était une page tournée, l’antisémitisme. Moi, j’ai un plan, conversion forcée. Que tout le monde devienne juif. Tout le monde aura de l’humour. Tout le monde aura de l’argent. C’est formidable ! On ne peut pas faire mieux. Il revient à ma mémoire, des souvenirs familiers. Je revois ma blouse noire, lorsque j’étais écolier. Sur le chemin de l’école, je chantais à pleine voix, des romances sans paroles. Vieilles chansons d’autrefois. Douce France, cher pays de mon enfance. Bercée de tendre insouciance. Je t’ai gardé dans mon cœur. Oui, je t’aime, dans la joie ou la douleur.

28 Comments

  1. La France est entrain de devenir de plus en plus antisémitisme envers les juifs et le malheur peut facilement se répéter. Faut pas oublier que la France a livré des milliers d’individus, enfants, femmes, hommes et vieillards qui étaient de simples citoyens, ce pays grâce au traître de Pétain à livrer aux pires supplices et à la mort des milliers de pauvres qui ont été trahis par ce pays. C’est mon opinion malheureusement. 👀🤨🇨🇦

  2. je vois beaucoup de Juifs aux côtés des anciens "anti dreyfusards"… bizarre, vraiment bizarre… fiates gaffe, por eux, vous restez des Juifs… alors que pour nous, vous êtes des personnes et nous l'avons démontré, pas eux…

  3. Et dire que maintenant c’est eux qui tue au nom d’une terre promise aujourd’hui ils commettent un génocide en Palestine du coup qui avaient raison en disant que c’est le cancer du monde le sionisme

  4. La pleurniche , la victimisation, la culpabilisation recommence pour manipuler l’opinion public . Ils vont nous harceler avec leur documentaire de la Shoah . Ils veulent qu’on passe sous silence l’horreur de Gaza ??? J’espère que cette manipulation ne fonctionnera plus . Ils sont pire que les allemands

  5. Nous ne sommes pas dupes.
    Nous savons pourquoi ce documentaire a été publié maintenant. Mais sachez que justement cela rend l'injustice vécue par les palestiniens actuellement d'autant plus triste car l'histoire ce répète.
    Le peuple qui souffre qu'il juifs où palestiniens quelle est la différence il faut aider les peuples martyrisés en ce moment !

  6. Comme un Palestinien dans sont propre pays il est martyriser massacré tué le génocides des palestiniens a commencé orchestrée par Israël et l'Amérique et sans oublié la communauté internationale

  7. Vous voulez comprendre pourquoi les français ne soutiennent plus leurs juifs comme avant? Bon sang mais tapez vous 10 vidéos de meyer habib, c'est de la bouffonnerie, et c'est martraqué en boucle du soir au matin, et a base de rhétorique déglinguée pour justifier l'injustifiable. A un moment je suis désolé, mais a force de nous serriner en boucle, on est soulé…

  8. Il paraît qu'en France les juifs furent moins persécutés, déportés et exterminés que dans les autres pays européens vaincus et occupés par les Nazis.
    Celà dit prétendre comme essaie de le faire Éric Zemmour que c'est grâce à Pétain et à Vichy que plus juifs survécurent au nazisme paraît choquant…
    Aujourd'hui l'antisémitisme existe toujours et la violence israélienne à l'égard des civils gazaouis et des autres palestiniens alimente les antisémites.
    D'autres parts dénoncer la violence de répression israélienne vis à vis des Palestiniens est souvent assimilé à de l'antisémitisme ce qui est stupide et malhonnête…

  9. "Ne fais pas à autrui ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse" cette phrase invite à traiter les autres avec la même considération et le même respect que l'on souhaite recevoir. En d'autres termes, elle encourage à agir avec empathie, compassion et bienveillance envers autrui, en se mettant à la place de la personne concernée.
    Pour ne pas oublier, l'histoire nous rappelle sans cesse ces sombres années 39-45 mais ne vous inquiétez pas, l'histoire se souviendra également de votre génocide vis à vis du peuple palestinien.

  10. Hommage à Mr Badinter décédé 3 jours après la sortie de ce documentaire. Au delà de ses opinions politiques, de ce qu'il a fait dans ses fonctions gouvernementales, c'était un grand humaniste et un grand pénaliste français.

  11. Intéressant ..comment faire les enfants disent encore une histoire des juifs MARRE a vrais dire avec le temps le kjujement est le joker swast STOP

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