LA GRANDE EXPLICATION
    Il était au bord de l’extinction, il ne restait qu’entre 20 et 50 individus et pourtant depuis quelques décennies le castor effectue un retour spectaculaire en France.
    Alors, qu’est-ce qui explique ce retour et pourquoi il pourrait devenir un précieux allié pour nous ?

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    Salut, c’est Lucas de Brut. Nature. Aujourd’hui, dans La grande explication, je vais vous parler de ce bâtisseur assez fascinant… Le castor. J’ai découvert qu’il faisait son grand retour en France et que ça changeait pas mal de choses. Avant ça, peut-être que vous regardez La grande explication pour la première fois, bienvenue à vous. C’est un format où j’essaye de répondre à des questions sur l’écologie ou les animaux. Et c’est publié chaque semaine sur Brut. Cette semaine, je vous parle donc du castor, qui effectue un retour spectaculaire en France depuis quelques décennies. Il était vraiment au bord de l’extinction. Entre 20 et 50 individus. C’est vraiment très, très faible. Et ce n’est pas tout, j’ai aussi appris qu’il pouvait devenir un allié pour les humains et d’autres animaux. Je me suis donc demandé : pourquoi les castors reviennent en France ? Qu’est-ce que ça change concrètement pour nous ? Je vous explique. Si on prend une carte de l’Europe, voici où on pouvait trouver des castors au Moyen-Âge. Et voici ce que ça donne dans les années 1900. En quelques siècles, il a presque été complètement éradiqué du continent. Bon, j’avoue que pendant longtemps, les castors, pour moi, c’étaient surtout ceux de la BD <i>Yakari</i>. Ils construisaient plein de trucs très stylés, dont de gigantesques barrages. Mais c’était en Amérique du Nord, et donc l’espèce s’appelait castor du Canada. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est qu’il existe une autre espèce, appelée castor d’Europe, ou castor d’Eurasie. Il mesure entre 1 mètre et 1,40 mètre et c’est le plus gros rongeur du continent européen. Il y a encore quelques siècles, il était présent partout en France et en Europe. Pour mieux comprendre son rôle dans les écosystèmes et ce qui lui est arrivé, je me suis tourné vers deux scientifiques qui l’ont étudié de près. Il a deux grandes dents qui sont sur le devant, ici. C’est caractéristique des rongeurs. Mais surtout, il a des pattes arrière qui sont palmées, ici, ce qui lui permet vraiment d’avoir une propulsion dans l’eau. Je me suis d’abord demandé pourquoi il avait failli complètement disparaître. En France, il y a un indicateur qui montre bien à quel point il était présent. C’est le mot “bièvre”. Je ne savais pas, mais c’est comme ça qu’on appelait le castor avant. Et preuve de sa présence, on retrouve ce nom ou ses variations dans plusieurs noms de lieux ou communes un peu partout en France. Ces mots qui ressemblent à ça, Bièvre, ou Bibereau, ou Beuvreau… Ça veut dire en fait qu’il y avait du castor, tout simplement. Et ça, il y en a partout en France. Du coup, je me suis vraiment demandé comment un animal pouvait passer de ça à ça… En fait, comme plusieurs autres animaux, son déclin s’explique par des activités humaines. – Il était chassé. En fait, c’était une espèce qui était chassable, tout simplement parce qu’il a une fourrure qui est complètement imperméable, et en plus, elle est très chaude. L’homme en fait des manteaux, en fait des chapeaux et il va surexploiter l’individu jusqu’à quasiment le faire disparaître d’Europe. Et aussi en partie pour le castoréum. Donc, le castoréum, c’est une substance qu’il sécrète pour marquer son territoire. C’était utilisé à l’époque dans la pharmacopée, pour les parfums ou les choses comme ça. Et parallèlement, on va aller exploiter de plus en plus les bords de cours d’eau dans lesquels il se reproduisait, il se reposait et il se nourrissait. En France, dans les années 1900, il ne restait plus qu’une toute petite population, isolée sur le Rhône. Le castor aurait très bien pu complètement disparaître. Mais avec un peu d’aide, il a réussi à renverser la tendance. Nous sommes en 1970, en Alsace. Ces castors sont relâchés dans une rivière où ils avaient disparu. C’est l’une des toutes premières réintroductions de castors en France. Au total, c’est une trentaine d’opérations comme celle-ci qui ont été effectuées à travers le pays. La plupart des castors relâchés, ils provenaient de la petite population qui restait dans le Rhône. En parallèle, 26 autres pays ont aussi participé à ce type de relâchements. Mais avant ça, il y a eu une autre mesure qui a favorisé son retour. C’est le premier mammifère qui a été protégé au niveau local, donc ça, c’était dès 1909, dans les trois départements Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse. En 1968, le castor est devenu une espèce protégée sur l’ensemble du territoire français. Il était interdit de le capturer, de le tuer ou de détruire ses constructions. Et ça, c’est toujours le cas. Depuis, ses populations se sont démultipliées. En 2016, le castor s’est déjà réinstallé sur un grand nombre de cours d’eau. Et comme le montre cette carte de 2020, il continue à gagner de nouveaux territoires. – En plus, il revient aussi naturellement par d’autres pays, notamment la Belgique et l’Allemagne, il revient coloniser la France. Donc oui, c’est un retour qui est assez impressionnant. En 2020, cette étude estime que leur nombre en France dépasse de nouveau les 14 000 castors. Et en moins de cent ans, passer d’une poignée de castors à 14 000, c’est vraiment pas mal. Il reste encore quelques zones sans castors et quelques zones difficiles, notamment à cause de barrages hydrauliques, etc. Mais la situation est beaucoup mieux qu’avant, évidemment. Bon, le castor semble sauvé. Mais pour certains, ça crée quand même quelques difficultés. Cette étude met par exemple en avant les dommages dus aux castors sur la Loire. Entre 2010 et 2013, 46 cas de dégâts ont été signalés aux autorités. Dans 90 % des cas, il s’agit de “dommages causés aux arbres”. Ce sont des arbres écorchés ou coupés par les castors. Dans une proportion plus faible, les castors sont à l’origine d’autres dommages, notamment sur les cultures. En fait, ils peuvent par exemple provoquer leur inondation. L’étude indique que des plantations de peupliers sont notamment affectées. Et que les propriétaires jugent les solutions proposées comme “peu efficaces”. Face à ces conflits localisés, dans de rares cas, certains répondent en tuant les castors ou en détruisant leurs constructions. Et ça, malgré l’interdiction et les risques que ça fait peser sur l’espèce. Pour les deux scientifiques que j’ai interviewés, il y a des solutions à développer pour mieux cohabiter avec le castor. Si le castor s’attaque aux arbres, l’idée, c’est de mettre, par exemple, un grillage d’environ un mètre de haut autour de l’arbre. Si vous voulez que le castor ne vienne pas sur une propriété, vous pouvez mettre aussi des petits fils électriques au ras du sol. Certains ont testé de mettre des tubes PVC à l’intérieur des barrages, ce qui permet de faire en sorte que l’eau continue de s’écouler. La seule chose, c’est que le castor n’aime pas ce bruit de l’eau qui s’écoule, donc il va avoir tendance à boucher votre tuyau. Donc ça veut dire qu’il faut régulièrement le déboucher pour qu’il fonctionne. Ensuite, on peut encore aller plus loin, c’est de racheter une partie des terres, celle qui est la plus proche des cours d’eau, pour la mettre en gestion, avec un gestionnaire conservatoire, par exemple, et donc comme ça, le producteur peut continuer à exploiter ses terres qu’il n’a pas vendues, et le castor, lui, par contre, est tranquille. Quelle est l’étendue des dégâts ? Je n’ai pas trouvé d’estimation solide à l’échelle nationale. Pour avoir une petite idée, on peut regarder ce qui se passe en Suisse, où les dégâts sont indemnisés s’il y avait une protection mise en place. Là-bas, le total des indemnisations s’élève à 25 000 euros par an, ça fait environ 15 euros par castor installé. Selon ce plaidoyer scientifique favorable au castor, c’est par exemple bien moins élevé que le coût des “dégâts dus aux renards”. Et c’est aussi potentiellement bien moins que les “bénéfices générés par les activités des castors”. Car cohabiter avec le castor, c’est cohabiter avec l’un des mammifères qui transforme le plus son environnement. Le castor, on considère que c’est un animal “ingénieur des écosystèmes”. En fait, il peut profondément transformer l’endroit où il vit pour l’adapter à ses besoins. – Il va construire un barrage quand les niveaux d’eau sont faibles, pour pouvoir augmenter le niveau d’eau et que ce niveau d’eau soit constant. Ça va lui permettre que son entrée de terrier soit sous l’eau et donc éviter que les prédateurs puissent entrer dans son terrier. Le deuxième objectif du barrage, c’est d’étendre un peu son territoire. Il va se nourrir en gros entre 0 et 15-20 mètres, vraiment sur la berge. Au-delà de ça, il va pas y aller, trop dangereux pour lui. Donc le fait d’augmenter la surface présente avec ce cour d’eau, ça lui permet d’augmenter sa surface potentielle pour aller chercher de la nourriture. Parfois, ces constructions modifient la dynamique de petites rivières. Thomas Ruys a pu le constater sur cette petite rivière des Ardennes. Il a construit un barrage assez gigantesque : 70 mètres de long à peu près sur 1,20 mètre, 1,50 mètre de haut. Effectivement, il y avait ces deux parties sur ce secteur-là : un énorme plan d’eau avec une hutte à castor typique assez formidable, et puis d’un autre côté, une petite rivière qui continuait à couler tranquillement. Donc, voilà, là, le système a été vraiment changé. Ces transformations dues au castor, on a déjà parlé des dégâts qu’elles pouvaient entraîner. Mais j’ai aussi appris aussi qu’elles pouvaient avoir de nombreux effets bénéfiques. Déjà, il peut modifier significativement la présence d’animaux ou de plantes sur son territoire. Le castor, avec son action alimentaire, quand il va aller ronger les arbres, il va créer ce qu’on va appeler des puits de lumière, notamment en milieu forestier. En fait, ils sont super intéressants pour qu’il y ait une colonisation diversifiée d’espèces, comme les amphibiens, par exemple, comme les chauves-souris… Avec ces barrages, le castor va créer ce qu’on appelle des grandes zones humides et des plans d’eau où les oiseaux migrateurs vont pouvoir se poser et se reposer. Mais à quel point ça peut changer ? Je n’ai trouvé presque aucun chiffre sur la France. Mais cette étude menée en Suède montre que dans des zones humides où les castors sont présents, on trouve 17 % de plantes et 15 % d’insectes en plus. Et cette autre étude menée en Écosse montre qu’il a “entraîné une multiplication par trois” de la quantité de plantes aquatiques. La création de barrages peut aussi avoir plusieurs autres effets. Prenons une rivière en Écosse avec 4 barrages de castors. Cette courbe représente l’évolution du niveau du cours d’eau en cours d’année, avec plusieurs crues importantes, mais aussi des moments où la rivière est bien plus sèche. Si on regarde maintenant ce même cours d’eau après les barrages de castors, il est beaucoup plus régulier. Les risques de très faible débit et d’inondations ont été largement diminués. Quand il coupe des arbres pour se nourrir de l’écorce, pour se nourrir des branchages, l’arbre ne va pas mourir. Il va même être stimulé pour se régénérer, donc il va créer ce qu’on appelle des rejets, donc plus de pousses d’arbres, ce qui va renforcer son système racinaire et ce qui va venir aussi consolider la berge. Et donc, notamment, ça résiste mieux aux crues et au passage des eaux. Du fait des services qu’il peut rendre, des scientifiques l’ont même intégré à un plan de gestion d’une zone naturelle. Plutôt que l’homme intervienne pour restaurer des milieux humides avec des grosses pelleteuses, on voit ce qu’il se passe en laissant faire le castor et comment ça se gère et voir si ça fonctionne. Ça commence en France. Alors, ce retour peut-il être un exemple pour d’autres animaux ? En 2019, le premier rapport de l’IPBES estimait que dans le monde, environ 1 million d’espèces animales et végétales étaient menacées d’extinction. Pour les scientifiques que j’ai interviewés, l’histoire du castor peut être une source d’inspiration. – Le castor, c’était un bon castor quand il était mort. Et en fait, on est passé d’une espèce nuisible à une espèce protégée, qu’on va valoriser derrière. C’est une espèce qu’on peut appeler une espèce parapluie. Ça veut dire que si vous protégez le castor et son habitat, vous protégez tous types d’espèces. Je prendrai l’exemple du vison d’Europe, une petite espèce de mustélidé qui ressemble au putois et dont il reste à peine 200 individus dans le sud-ouest de la France. Et donc là, une des solutions possibles et envisageables, ce serait de réintroduire des individus dans le milieu naturel pour venir renforcer les populations actuelles. On ne peut pas reproduire la recette telle quelle pour toutes les espèces, car chacune a ses spécificités. Mais on peut aussi voir le castor comme un symbole. C’est un symbole de l’évolution de notre perception de la nature et de notre rapport à la nature au cours du temps. On a éveillé un peu notre conscience sur l’impact qu’on pouvait avoir sur celle-ci et notre besoin de la protéger. Même s’il y a encore du travail pour réapprendre à cohabiter avec lui et accompagner les personnes affectées par ces activités, j’étais vraiment surpris de découvrir à quel point un castor pouvait, dans certaines conditions, bénéficier à des écosystèmes entiers. Et puis, il montre aussi que si on s’intéresse à certaines espèces menacées et que l’on prend des mesures, on peut encore les sauver. J’espère que cet épisode de La grande explication vous a intéressé. Un grand merci à Bénédicte Felter pour sa thèse qui m’a beaucoup aidé pour écrire cet épisode. J’ai aussi appris énormément de choses sur le castor grâce aux interviews. Je n’ai pas pu tout mettre, mais voici un petit bonus sur un autre attribut. Il a une queue plate qui lui sert donc à la fois pour communiquer. Donc il faut savoir que quand vous approchez un castor, par exemple, il peut claquer la queue contre l’eau. Ça lui sert également de gouvernail pour se diriger dans l’eau. Et c’est aussi une ressource en graisse pour l’hiver. On se retrouve très vite sur Brut pour traiter d’autres sujets sur les animaux ou l’écologie. D’ici là, vous pouvez apporter vos questions ou compléments dans les commentaires et vous pouvez aussi liker la vidéo pour que d’autres personnes découvrent le sujet. Et je vous dis à bientôt !

    32 Comments

    1. Déçu de ne pas voir l'effet le plus bénéfique que les américains ont vu avec le castor. Eux, dans des zones sèches du Névada, on réussi à restaurer totalement des écosystèmes. Car qui dit point d'eau étendu et plus grande quantité de plante dit plus d'évaporation, et à terme, plus de pluies. Le castor aux USA est avant tout un outil formidable anti sécheresse. Ou plus exactement, il corrige les sécheresses causées par les hommes. Ainsi, on suspecte que la Californie était beaucoup plus humide du temps des castors. De même, elle était plus diversifiée en arbres grâce au loup qui empêchait les cerfs et chevreuils de bouffer les jeunes arbres, en les rendant nomades. Et enfin, le bison lui s'occupait de créer de grandes clairières qui empêchaient la propagation massive de feux de forêts. Raison pour laquelle l'Espagne essaye de remettre des bisons (d'Europe) dans leur forêts.
      En France, on parle moins de cet effet anti sécheresse du castor (à peine mentionné dans votre reportage) car on a pas mis tant de cours d'eau à sec que ça (pas encore). Si l'agriculture française est si forte, c'est grâce à une énorme quantité de fleuves et cours d'eau en tous genres. Mais il sont menaçés, et le retour du castor nous aidera, ainsi que la destruction des barrages artificiels humains

    2. Le vendredi, les Catholiques français ne pouvaient pas manger de viande jusqu'au pontificat de Paul VI. C'est pourquoi ils mangeaient du poisson… et du castor . Car l'Eglise considérait le castor comme un poisson depuis le Moyen-âge . Les raisons étaient les suivantes: les moines avaient le monopole de la vente de poissons d'eau douce et; donc du castor. Et cette loi constituait un moyen d'empêcher la chasse au castor. Elle a été abrogée en août 1789 et la chasse sans permis et sans restriction a été autorisée, aboutissant à un massacre et à la disparition de nombreuses espèces. Comme dirait Alexis Corbière, le fameux député: "Merci la Révolution".

    3. en suisse in en a sauf que ils creusent des tunnels le long des berges de la brroye en causant pas mal de degats, sans compter que ils rongent tout ce qui poussent le long de ces berges et lors d'inondations il ne reste rien pour retenir le terrain. en tant que paysagiste j'ai du passer pas mal de temps a remodeler le terrain et replanter des saules le long de la broye de lucens jusqu'a corcelles-près-payerne. nuisible ou pas ? je pense pas, simplement qu'il faut faire avec. et il apportent de travail a pas mal de gens quand leurs terriers s'efondrent lors des grosses inondations qui restent rares et deboisent naturellement. ne reste qu'a mettre du repulsif sur les jeunes arbres. une espèce très fascinante selon moi

    4. Merci pour ce petit reportage.
      J'étudie pour mon mémoire de fin d'études les problématiques sur les moulins hydrauliques, et notamment la loi sur l'eau avec la continuité écologique qui fait tout pour détruire les barrages des moulins jugés néfastes pour les poissons migrateurs…. C'est en totale contradiction avec les barrages que le Castor érige sur les cours d'eau…. Quand les politiciens ont une idée en tête " Détruire les moulins ", ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez….

    5. C'est devenu tellement évident qu'il faut réintroduire tout ce qui peut l'être et surtout urgent ! Et arrêtons de dire "nuisible" ça n'existait pas avant que l'homme dérègle tout.

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