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    Ah, les druides. Leurs potions magiques qui rendent super fort. Leur amitié avec les loups. Leur combat contre les belettes à Winchester. Leurs réunions durant la semaine du corbeau, même si c’est sans alcool… Que d’histoires merveilleuses et qui n’ont rien, mais alors RIEN à voir avec la réalité ! Parce que les druides de l’Antiquité gauloise avaient un tout autre visage, et on va partir à sa découverte tout de suite !

    ➤ Découvrez les deux épisodes d’Analepse sur l’art gaulois :
    ➜ Astérix est-il Gaulois ou Celte ? : https://youtu.be/N2y9DOCOEMo
    ➜ Existe-t-il un art gaulois ? : https://youtu.be/7lPhlmNKW6k

    ➤ Retrouvez notre épisode sur Merlin : https://youtu.be/yakW8odUnv8

    🖋 Écriture : Benjamin Brillaud, Jean de Boisséson et William Blanc

    🎞 Montage : Dead Will / Wilfried Kaiser https://www.youtube.com/c/DEADWILL

    Sommaire :

    0:00 : Introduction
    0:29 : NordVPN
    1:29 : On va mettre les choses au clair sur les druides

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    ➤➤➤ Sources en fin de description
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    ➤➤➤ Pour en savoir plus :
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    – Blanc William, « Les “druides” de Bretagne, encensés par la presse de droite », Retronews, août 2019.
    – Boissière Nicolas, La fabrique d’une tradition néo-païenne : une ethnographie du néo-druidisme au Québec, Thèse en sciences des religions, Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, 2023.
    – Brunaux Jean-Louis, Les druides. Des philosophes chez les barbares, Paris, Éditions du Seuil, 2006.
    – Brunaux Jean-Louis, Nicoby, L’enquête gauloise. De Massilia à César, Paris, La découverte, 2017.
    – Di Carpegna Falconieri Tommaso, « Druides et bardes : un Moyen Âge celtique », dans Médiéval et militant : Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2015, p. 169-180.
    – Hutton Ronald, « The New Druid », The Year’s Work in Medievalism, Vol. XIV, 1999.
    – Hutton Ronald, Blood and mistletoe : the history of the Druids in Britain, New Haven, Yale University Press, 2009
    – Le Stum Philippe, Néo-druidisme en Bretagne. Origine, naissance et développement, 1890-1914, Rennes, Éditions Ouest-France, 1998 (rééd. 2017).

    Mes chers camarades, bien le bonjour ! Si je vous parle des druides, tout de suite vous allez avoir des images qui vont poper : leurs potions magiques qui rendent super fort, leur amitié avec les loups, leur combat contre les belettes à Winchester, ou encore leurs réunions durant la semaine du corbeau, même si c’est sans alcool… Que d’histoires absolument merveilleuses qui n’ont rien, mais alors rien à voir avec la réalité. Parce que les druides de l’Antiquité gauloise avaient un tout autre visage, et on va partir à leur découverte tout de suite ! Enfin… juste avant, un petit mot de notre sponsor du jour ! Quand on évoque les druides, on pense forcément à la potion magique du plus célèbre des Gaulois. Eh bien la potion magique de Nota Bene, c’est sans doute NordVPN qui accompagne l’émission depuis 5 ans maintenant. C’est énorme et ça participe à la longévité du programme, alors merci à eux ! 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Pour parler des druides antiques, on a un gros souci : en fait ils ont laissé aucune trace écrite… rien, que dalle ! En fait, tous les témoignages les concernant sont issus d’auteurs grecs et romains, notamment à partir du Ier siècle. Parmi eux, le plus important reste sans conteste Jules César, dans son Commentaire de la guerre des Gaules. Et là, vous voyez arriver le problème : Jules César, c’est pas un ethnographe, mais un chef militaire, et forcément il veut justifier sa guerre. Alors inutile de dire qu’il faut prendre ses propos avec des pincettes. Et c’est pareil pour les nombreux autres témoignages de Strabon, Diodore de Sicile, Pline l’Ancien, Lucain, etc. : tous sont de culture gréco-latine. Et tous ces textes ont deux tendances majeures : premièrement, faire des druides des barbares pratiquants des sacrifices humains sanguinaires dans des forêts reculées. Sans doute à cause des préjugés des Romains, qui voient dans ces “barbares” des êtres primitifs, Pline l’Ancien et Lucain diffusent ce stéréotype aujourd’hui démenti par l’archéologie. Deuxième tendance : lier les druides aux philosophes grecs. Qui a inspiré qui, ça se discute, mais certains textes n’hésitent pas à affirmer que les druides croient en la métempsychose, c’est-à-dire au déplacement des âmes de corps en corps… Et ça, ça colle avec une doctrine grecque, celle des disciples de Pythagore, qui se multiplient au 6e siècle avant notre ère ! Alors du coup, c’est plutôt des sauvages qui rongent leur nonosse dans un trou, ou une élite intellectuelle de haute volée ? Eh bah c’est tellement contradictoire qu’on pourrait se dire que ça va être compliqué de dresser un vrai portrait des vrais druides ! Mais heureusement, le spécialiste Jean-Louis Brunaud s’est lancé ce défi en croisant des textes anciens et des sources archéologiques. Et ce sont sur ses hypothèses, étayées par plusieurs dizaines d’années de recherches, que je vais m’appuyer aujourd’hui. D’abord, à quand remonte l’apparition des druides ? De la fin du 7e au début du 5e siècle avant notre ère, la « culture de Hallstatt » s’étire sur un arc qui va du nord des Alpes, de la Bourgogne, à la plaine hongroise. Elle développe des échanges si forts avec la Méditerranée, que ses grands princes se font enterrer avec des objets venus de tout le monde grec ! Par exemple, la tombe d’une noble dame de Vix, au nord de la Bourgogne, contenait un cratère en bronze haut d’1m60, pour plus de 200 Kilos ! Les hoplites qui y sont représentés prouvent qu’il a été réalisé par des artistes grecs, sans doute dans un atelier d’Italie du sud. Évidemment, ce type d’échanges culturels et commerciaux nécessite des spécialistes, des intellectuels capables de parler les différentes langues méditerranéennes. Ces derniers entrent au contact des Grecs et des Étrusques, peut-être à Massalia, la future Marseille fondée vers 600 avant notre ère par des colons phocéens venus de l’actuelle Turquie ? Ou encore, dans l’une des nombreuses colonies de la “Grande Grèce”, surnom que l’on donne à l’Italie du sud. Ces intellectuels gaulois s’inspirent donc des philosophies méditerranéennes, notamment pour développer des modèles astronomiques. Et croyez moi, lire les astres à l’époque, c’est pas anodin ! C’est eux qui déterminent les jours propices aux rites religieux, aux grandes fêtes dédiées aux dieux, voire à la lecture de l’avenir. Bref : avec ce savoir, on se positionne en intermédiaire entre les humains et les dieux. Et voilà comment on se retrouve avec une élite prépondérante dans la société celtique : on commence par maîtriser les échanges commerciaux, linguistiques, culturels, puis on devient les “maîtres du ciel”. Et vous l’avez compris, c’est cette nouvelle caste qui se fait appeler “druides” ! À partir du 5e siècle avant notre ère, les druides supplantent la vieille aristocratie du Hallstatt. Ils sont les nouveaux maîtres du monde gaulois. On est donc loin d’ermites reclus dans la forêt taillant la bavette avec des loups ! En fait il faut s’imaginer un vaste changement social, culturel, et hiérarchique, tout ça lié à des idées nouvelles et internationales… Mais en parlant de tout ça d’ailleurs, c’est quoi, les pensées et les croyances des druides ? Eh bien première idée fondamentale : la philo, c’est prioritaire en politique ! Pour les pythagoriciens, et plus tard, pour Platon, la cité doit être gouvernée par une noblesse de sages. Cette élite fermée dispense ses enseignements en secret à un petit groupe sélectionné par une période d’initiation. Pour eux, le savoir EST le pouvoir. Connaître les lois de la cité, mais aussi les mystères de l’univers, donc des dieux, ça leur est réservé. Et c’est pour ça que cette doctrine se transmet parfois oralement, sans recours à l’écrit, afin que ses pensées les plus secrètes ne tombent pas dans les mains des profanes. Ça vous rappelle peut-être quelque chose ? Eh oui, c’est le comportement des druides, en tout cas d’après plusieurs sources antiques. César affirme ainsi que leur initiation dure 20 ans : donc vraiment c’est un club très, très fermé ! Et le druide gaulois serait encore plus impliqué dans la politique, que son confrère grec pythagoricien. Pour l’anecdote : quand ces derniers tentent de mettre en place leur système, dans la ville de Crotone, en Grande Grèce, eh bien ils finissent pas être chassés de la cité. Mais apparemment les druides, eux, ont eu droit à un contexte un peu plus favorable… Jusqu’à la conquête romaine, les druides se positionnent ainsi au centre des jeux de pouvoir de leur société, des procédures judiciaires, et de l’éducation. Mieux, ils organisent un rassemblement annuel, les Assises des Carnutes. Ces assemblées permettent d’abord de fixer un calendrier astronomique commun. Mais elles deviennent aussi un lieu de discussion entre différents peuples gaulois, pour aborder des problèmes collectifs, notamment vis-à-vis du monde extérieur. Et ces débats se font toujours, toujours, sous la surveillance des druides… Alors attention de ne pas romancer tout ça : on ne peut pas non plus parler de cadre politique commun. Ces assises ne forment en rien une “unité française” d’avant la France, et d’ailleurs, elles ne concernent principalement que des peuples des Gaules du Nord et du Centre. On doit plutôt comparer les assises des Carnutes à l’Amphictyonie de Delphes, qui existait à la même époque en Grèce. L’Amphictyonie, c’est une ligue sacrée, celle qui regroupe de nombreuses cités-États pour gérer en commun le sanctuaire de Delphes. Normal, vu que les Grecs le considèrent comme un centre du monde ! Mais de fait, cette assemblée religieuse aussi finit par avoir une utilité politique : débats communs, relations inter-cités, rapports avec les autres peuples et les barbares, etc., etc. Bon on va revenir aux druides. En tant que caste dominante, forcément les druides ont aussi fait sentir leur influence sur des secteurs bien particuliers, à commencer par la culture, les représentations, et l’art des Gaulois ! Pour simplifier très grossièrement la pensée pythagoricienne, notre monde est physique, concret, complexe et diversifié, plein d’impureté. Avec la métempsycose, le cycle de réincarnation des âmes, nous restons prisonniers de ce monde. Mais il y a un espoir : s’élever, dans un monde toujours moins physique, plus spirituel, abstrait, simple et unifié. Un monde pur et divin. En menant une vie ascétique, austère, l’âme peut donc échapper au cycle de métempsychose, et enfin rejoindre les sphères divines. Pour symboliser ce désir de pureté, les disciples de Pythagore s’habillent en blanc. Et les druides les imitent et portent des vêtements de la même couleur. Eh oui, ça a vraiment existé, et on retrouve cette réalité historique jusque dans nos fictions, comme Astérix ou Kaamelott ! Mais du coup, si je résume, qu’est-ce qui nous élève ? Eh bien, une science toujours plus abstraite, plus universelle, plus pure… Bref, les mathématiques dominent le monde. Les nombres sont divins, et le divin est abstrait, invisible à nos yeux. Logique, pour Pythagore et sa team ! Sauf que ça coince pour les autres Grecs : plus ça va, plus on préfère au contraire réaliser un art figuratif, c’est à dire qui imite la nature. Et c’est pour ça que vous voyez plein de statues de dieux et de déesses grecs qui sont ultra réalistes, avec des corps, des membres, et toute une anatomie humaine qui sont vachement bien représentés ! Mais paradoxalement, ce qui a échoué en Grèce marche dans les Gaules, grâce aux druides qui prennent le relais. Du coup, l’art gaulois opte souvent pour l’abstraction : on a des motifs géométriques sur les pièces de monnaie par exemple. Vous pouvez aussi sans doute penser aux entrelacs celtiques, toutes ces sortes de choses, mais pour ça je vous conseille deux super vidéos d’Analepse, sur YouTube, pour comprendre l’art gaulois, parce que c’est vraiment super bien fait ! Nous, on va rester focus sur les druides et leurs rituels, et justement on retrouve cet art abstrait, non figuratif, jusque dans l’architecture sacrée de cette époque ! Par exemple, le temple de Gournay-sur-Aronde se trouve à l’intérieur d’une palissade surmontée de crânes humains, qui marquent un espace sacré, où seuls pénètrent les druides initiés. À la différence des temples gréco-romains, on n’y retrouve aucune effigie de divinités ! La présence divine n’est pas représentée par des statues. On a juste un “bois sacré” de quelques arbres, et une fosse qui faisait office d’autel. Cette simplicité, cette absence de décorations, donne à l’ensemble une aura de mystère et de divinités invisibles. Et les druides affirment être les seuls à même d’interpréter ce mystère du divin. Selon Jean-Louis Brunaux, c’est eux qui organisent le culte, procèdent aux sacrifices d’animaux, et se posent en intermédiaire entre le peuple et les dieux. Forcément, avec une telle autorité sur la religion, l’art, la société, la langue, la culture… On voit mal comment “l’âge des druides” pourrait s’effondrer ! Et pourtant, il a bien eu une fin. Dès la seconde moitié du 2e siècle avant notre ère, la société gauloise connaît des bouleversements importants. Pour commencer, le voisinage de Rome se fait de plus en plus sentir, très très longtemps avant la Guerre des Gaules. Les légions interviennent dès 154 avant notre ère pour protéger Massalia. En 121 avant notre ère, dans notre sud-est, est même créée une première province : c’est l’origine du nom de l’actuelle “Provence” ! Et ces expéditions sont loin de rencontrer une résistance unie des Gaulois, c’est même tout l’inverse. L’un des plus puissants peuples gaulois, les Éduens, originaires de l’actuelle Bourgogne, s’appuient même sur Rome pour contrer leurs ennemis arvernes. À la fin du IIe siècle, nouveau bouleversement, et nouvel envahisseur : des tribus germaniques, les Cimbres et les Teutons, ravagent pendant 10 ans les Gaules et le nord de l’Italie. Encore une fois, c’est une armée romaine qui doit intervenir pour les défaire, en 102 avant notre ère, non loin d’Aix-en-Provence. Sauf que tous ces troubles frontaliers finissent par entraîner un changement radical dans l’organisation sociale interne des Gaulois. C’est le retour en force de la vieille aristocratie militaire, qui reprend de plus en plus de poids dans la diplomatie. Certains peuples comme les Éduens, copiant peut-être en partie Rome, adoptent en plus une mode politique plus collégiale, avec un sénat et son magistrat, le vergobret. Alors ok, les druides sont toujours là… mais imaginez un peu la dégringolade sociale ! Ils sont remplacés par des princes guerriers et par des assemblées politiques pour les affaires extérieures et intérieures, clairement ils ne vivent pas leur meilleure vie ! Selon Jean-Louis Brunaux, le rassemblement des Carnutes cesse même sans doute au début du Ier siècle avant notre ère : finie la cohésion inter-peuples, qui soutenait l’ordre druidique ! Chacun se replie sur soi pour organiser sa propre défense, quitte à passer des alliances avec Rome… Diviciac incarne bien ce retrait des druides. Cet aristocrate éduen a rencontré Cicéron et César, qui parlent d’ailleurs de lui dans leurs écrits. Problème : Cicéron le qualifie de druide, mais pas du tout César ! C’est sans doute la preuve que ce titre a perdu beaucoup, beaucoup de son importance, pour qu’on puisse le mettre de côté comme ça. Lorsqu’il négocie avec César, Diviciac est un membre de la noblesse, un chef politique, et c’est ça qui compte. Il faut vraiment une discussion privée, entre intellos, avec un philosophe, pour qu’on apprenne qu’en fait, entre parenthèses, il était druide… On est donc bien passé de “caste politique redoutable” à “détail sur le CV, dans la section centres d’intérêts”… Et même ça, ça nous rappelle que loin d’être un vaillant résistant aux Romains, Diviciac est très lié à Cicéron, soit l’un des plus grands auteurs et penseurs latins de son temps, qui l’a accueilli chez lui. Et on peut croire le témoignage de Cicéron, qui est de première main. Vous savez ce qu’on dit : Cicéron, c’est carré… Bref, si on résumé, avec le temps, le terme “druide” est devenu aussi naze que mon jeu de mot ! Le terme “druide” ne désigne donc plus une élite dirigeante, mais sans doute des magiciens, des devins de toutes sortes, ou tout simplement des lettrés. Encore au 4e siècle, le poète gaulois Ausonne se vante d’avoir eu des professeurs descendants d’anciens druides. Bref : une lignée de pédagogues, de savants, et de maîtres. Finalement, leur domination n’aura pas duré si longtemps que ça dans le temps : à peine du 5e siècle au 2e siècle avant notre ère. Mais est-ce qu’elle s’est étendue sur un vaste espace, au-delà des frontières de la Gaule ? Eh bien pas selon Jean-Louis Brunaux, qui n’y voit qu’un phénomène très local et spécifiquement gaulois. Mais des historiens anglophones pensent le contraire. Bien des textes légendaires irlandais médiévaux, comme "La Rafle des vaches de Cooley", font allusion aux druides. Pour beaucoup, ces récits écrits à partir du 8e siècle sont même des mises par écrit d’une tradition orale très ancienne issue d’une société jamais conquise par les Romains, où les druides auraient survécu, transmettant de bouche à oreille leurs croyances et leur mythologie. Eh bah désolé de péter l’ambiance, mais tout ça c’est pas possible, et pour au moins deux raisons ! Tout d’abord, on peut comparer ces légendes à d’autres textes plus anciens comme les lettres de Saint Patrick, écrites lorsqu’il tentait d’évangéliser l’île au 5e siècle. Évidemment, le chrétien parle souvent des obstacles qu’il rencontre durant sa mission… et il n’évoque pas une seule fois les druides. Zéro mention ! Comme si les druides n’existaient plus en Irlande à cette époque. Mais, coup de théâtre ! Plus tard, au 8e siècle, ces récits irlandais mythologiques se remettent à parler de druides. Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Eh bien, en fait, toute cette histoire se déroule dans des monastères irlandais, qui exercent alors une énorme influence en Europe. Pour renforcer leur prestige, ces moines savants, qui connaissent par cœur les récits classiques, bibliques, grecs et latins, peuvent créer leur propre littérature ! Ils compilent donc peut-être un corpus légendaire “local”… sauf qu’en plus de piocher dans les récits du coin, ils inventent aussi énormément, notamment en puisant beaucoup, beaucoup, chez la concurrence. Bref : le mot druide pourrait très bien venir de César ou de Pline. Et le pire, c’est que ce terme ne désigne pas du tout les druides astronomes ou pédagogues… mais plutôt des magiciens. En tant qu’auteur chrétien, on associe en effet le paganisme et la sorcellerie. En résumé : les sources irlandaises, médiévales et chrétiennes, sont bien plus indirectes et déformées que les sources continentales, qui elles sont antiques et païennes. On peut vraiment pas parler de survivance du druidisme… Mais par contre, on peut parler de réinvention ! À la toute fin du 15e siècle, l’Allemagne et la France connaissent un intérêt renouvelé pour les textes antiques. C’est qu’il faut imiter la culture italienne, qui sert à l’époque de modèle. Et pour ça, on doit se retrouver des ancêtres dignes, voire supérieurs, aux penseurs gréco-latins. On décide donc de récupérer la figure du druide, qu’on avait complètement oubliée pendant tout le Moyen Âge ! En Allemagne, Conrad Celtis voit en eux des philosophes qui valent ceux de l’Athènes antique. C’est sans doute pour ça que, dans la description qu’il en fait, il les dépeint comme des érudits portant une barbe à l’image d’un Platon ou d’un Aristote. Celtis les munit également d’un bâton et d’un livre, deux éléments qui renvoient cette fois à l’école cynique, un des plus grands courants de pensée grecque. Au 17e siècle, l’auteur anglais Aylett Sammes suit le mouvement : le druide porte forcément la barbe, qui est un symbole de sagesse ! Ce cliché se diffuse partout, jusqu’au 19e siècle, où les livres représentent forcément le druide dans sa forêt. Et c’est la même chose pour les manuels scolaires du 20e siècle, puis dans Astérix ou encore Kaamelott. Même si on est plutôt sur de l’imaginaire, cette représentation du druide, elle va avoir une grande influence au 20e siècle, où la fantasy va s’emparer de cette figure. Et c’est la même chose pour les menhirs et les dolmens, puisque c’est vers les 16e et 17e siècles qu’on commence à associer ces structures mégalithiques avec les druides alors que 1 000 ans les séparent ! Et pourtant au 18e siècle, les travaux de William Stukeley viennent confirmer et accentuer cette confusion. Ce savant et pasteur, fasciné par les druides, cherchait dans le passé des preuves pour soutenir sa foi. Il était persuadé que les druides avaient été influencés par le Dieu de la Bible. Et il a de la suite dans les idées, puisqu’il prétend avoir des preuves écrites, mais aussi archéologiques ! Et il va chercher tout ça à Stonhenge ! Stukeley affirme que cette structure circulaire est la preuve que les druides croyaient en l’existence d’un dieu unique et infini. Dans un livre, il va même jusqu’à comparer l’intérieur du cercle de pierre au « saint des saints » qui se trouve au Temple de Jérusalem construit par le roi Salomon. En s’appuyant là-dessus, il enfonce donc le clou. Pour lui, les druides sont en réalité issus d’une colonie phénicienne implantée en Grande-Bretagne, fondée à l’époque d’Abraham reprenant largement les pratiques religieuses des patriarches de la Bible. Aussi les druides tel qu’il les imagine sont tout aussi barbus que ceux de Sammes, mais cette fois ce détail peut renvoyer autant aux philosophes grecs qu’aux prophètes de l’Ancien Testament. Sauf que quand William Stukeley écrit, Stonehenge est déjà associé à un autre personnage depuis très longtemps : Merlin. Et si vous voulez savoir pourquoi, j’ai déjà fait tout un épisode là-dessus, il vous suffit de chercher ! Du coup, au 18e siècle, l’architecte John Wood l’ancien fait le lien : Merlin = Stonehenge, or Stonehenge = druides, donc Merlin = druide ! Et voilà comment, du jour au lendemain, le magicien arthurien se retrouve tout à coup avec un look de pseudo-druide, grande robe, longue barbe blanche et tout le toutim… Alors que c’était loin d’être la règle sur les enluminures médiévales ! Vous allez pas me dire que toutes ces idées chelous elles arrivent par hasard au même moment, à des religieux, des savants, et des artistes ?! Eh bah non, en effet. Il y a aucun hasard. En fait, en 1707, l’Acte d’Union a fondé la Grande-Bretagne, un tout nouveau royaume, qui va réunir les Anglais, les Gallois, et les Écossais. Alors du coup, forcément il faut s’inventer un imaginaire commun ! Et le druide arrive pile à temps pour ça : on prétend qu’il a toujours été là, comme une preuve d’une nation britannique très ancienne, très particulière, avec une forte indépendance politique. Il y aurait deux mondes : d’un côté, l’ancien Empire romain, tyrannique, comparable à une immense ville qui s’étend, et qui accouche de monarchies absolues ennemies – à commencer par la France ! Et puis, de l’autre, il y aurait les îles britanniques et leurs forêts sauvages, où les druides sont des combattants de la liberté, qui préfigurent la monarchie britannique, qui est, elle, parlementaire. On retrouve cette vision de l’Histoire dans la tragédie Caratacus, achevée par William Mason en 1759 : le druide résistant, c’est la Grande-Bretagne, et les méchants Romains représentent les Français. Au même moment, la forêt des druides symbolise une autre liberté, celle des premiers auteurs romantiques voulant s’échapper d’une société qui est la première à connaître la Révolution Industrielle, et qui s’urbanise à grande vitesse. Évoquer ce paysage se transforme alors en un moyen de rêver à un ailleurs où l’humanité aurait encore été en contact avec une nature primitive et des éléments en furie propre à inspirer les poètes et les peintres. Du coup, la figure du druide devient foncièrement mélancolique, et associée à elle du barde chantant un paradis perdu, un Éden inviolé. Sur une toile de Thomas Jones réalisée en 1774, un barde à la barbe blanche rappelant fortement celle des druides tient fermement sa lyre au milieu d’une nature dévastée, tandis que des soldats vêtus de fer s’apprêtent à la capturer. Même chose sur une autre peinture faite en 1817 par John Martin. Cette fois-ci, le barde est seul, perdu, face à un château et une armée. Et pourtant, il semble aussi triompher, au cœur des éléments, de la nature, près du ciel, libre comme l’air, alors que ses adversaires sont prisonniers des contingences terrestres. Le souci, quand on s’invente une histoire complètement déconnectée des sources, c’est que ça peut tourner assez différemment de ce qu’on imaginait à la base, et très vite, le “druide britannique”, qui est le visage de l’unité politique de l’archipel, est remplacé par le “druide gallois”, identitaire, qui va s’opposer à l’État central britannique…. Belle ironie ! Le néo-druidisme gallois a aussi des connotations religieuses. En 1792, le protestant radical gallois Iolo Morganwg fonde ainsi le Gorsedd, un groupe qui prétend retrouver les traditions des druides et des bardes. Selon lui, les druides seraient les véritables héritiers de la religion judéo-chrétienne, d’abord pourchassés par la Rome païenne, puis par la Rome catholique, qui aurait trahi l’idéal du christianisme originel ! Le druidisme gallois ne fait pas dans le détail : il s’oppose aussi à la marche du progrès et à la Révolution Industrielle, sur fond de revendication d’autonomie et de retour à la nature. En 1812, le Gorsedd s’implante à Glamorgan, dans une région du Pays de Galles particulièrement ravagée par la Révolution Industrielle. Puis il se diffuse dans nombre de pays voulant se redécouvrir des racines celtiques très fantasmées. Et c’est par exemple le cas en Bretagne, en 1899, et d’ailleurs en 1906, le Petit Journal lui consacre même une illustration pleine page ! Evidemment, y’a des variantes : en France, le progrès industriel et la centralisation sont plutôt portés par des républicains de gauche. Et du coup, le Gorsedd breton est plutôt soutenu par des conservateurs. Les congrégations néo-druidiques apparaissent tout au long des 19e et 20e siècles. Elles rencontrent un grand succès dans les années 60, à la grande époque des contre-cultures, des mouvements hippies, et de l’écologie politique. Le druide va cette fois servir à prôner une spiritualité proche de la nature. Alors bien évidemment, on le retrouve assez vite dans la pop culture, notamment dans le jeu Donjons & Dragons, où il devient un être forestier, protecteur de la nature, ami des bêtes, et capable de se transformer lui-même en animal ! Et c’est assez drôle, quand on sait que le druide historique avait plutôt tendance à les sacrifier, les animaux… Bref, voilà comment, dans Warcraft, dans Kaamelott, dans les films et les jeux vidéos, les druides ne côtoient plus les philosophes grecs, et ne se lancent plus dans des grands dialogues avec des disciples de Pythagore… Ils sont trop occupés à se bastonner, avec des chevaliers, des châteaux, des licornes, et des dragons ! Et après tout pourquoi pas, tant qu’on s’amuse ! J’espère que cet épisode vous a plu, et si on s’est pas égaré dans ce monde sauvage et obscur des druides, eh bien c’est grâce à notre guide, William Blanc, qui a écrit ce script alors merci à lui ! Sur ce oubliez pas de commenter, de partager, de vous abonner pour pas louper les prochains épisodes. On se retrouve très bientôt sur Nota Bene ! Salut !

    31 Comments

    1. Nozvezh vat nya🐾

      Tout d'abord, je ne suis pas professeur-e, scientifique, archéologue, juste un-e Celte passionné-e par les cultures Celtes nya.

      D'après mes connaissances, récoltées petit à petit sur les médiévales, dans les musées, les livres, avec les reconstituteurices, Keltia, il y a plusieurs points qui m'ont fortement interpelé-e dans cette vidéo.
      Entre autres:

      – La vision très centrée sur le pouvoir: pourquoi pas, mais ça me paraît être un point de vue compatibles et complémentaires avec d'autres orientés différemment.

      – La transmission de la parole orale: la parole écrite est figée, donc morte, dans plusieurs cultures Celtes.

      – La métampsychose: peut-être que c'était la vision de certains peuples, et/ou à certaines périodes, mais autant que je sache, la vision principale était plutôt celle d'une existence dont la mort est un point de passage marquant le voyage vers l'Autre Monde (le Sídh irlandais par exemple), au-delà des mers, sous la terre, entre les branches d'un arbres… Par forcément vers le ciel (tout de même sacré).

      – Les peuples Celtes étaient, de manière générale, connus entre autres pour leur travail et leur savoir-faire métallurgique. On connaît notamment leurs bijoux, et s'il y a effectivement des images très abstraites, il y en a aussi de très précises d'animaux, de végétation et d'humain-e-s, notamment sur des fibules et des torques.

      – La couleur blanche est une couleur définie comme "pure" dans beaucoup de culture, entre autres parce qu'elle n'est le mélange d'aucune autre.

      – Il y avait au moins trois castes de druides, dont une dédiée au savoir "poétique" et "lyrique", bien connus pour ses satires (toujours à prendre avec des pincettes, comme tu l'as souligné, vu la provenance des sources). On parle de retenir par cœur des "poèmes" de centaines de vers, en plus des autres connaissances, donc oui, l'apprentissage était long de plusieurs années.

      – Il n'est pas étrange qu'on parle de transformation en animaux par des personnes sacrifiant ces mêmes animaux; s'approprier la force d'une créature en la sacrifiant et/ou en consommant ou utilisant une partie de son corps est une des bases de l'animisme à travers le monde.

      – Oui, il y a eut (et il y a toujours) des visions fantasmées et politisées au goût du jour des cultures Celtes et notamment des Druides (dont, au passage, le nom a plusieurs étymologies débattues pouvant remonter au moins à l'Indo-Européen), mais la vision avec laquelle tu présentes cette partie peut, je trouve, amener à penser que les Druides (antiques) ont été "inventés" récemment, malgré tes propos d'introduction.

      – Tes propos d'introduction sont très centrées autour d'une recherche/conservation du pouvoir par le contrôle de la culture et du savoir, ce qui a pu être le cas (je n'ai pas fais 10 ans de recherches assidues sur le sujet) mais qui ne correspond pas à la majorités des textes et discussions auxquels j'ai eu accès jusqu'à présent; ou plutôt, qui représente/pourrait representer une partie du statut et du fonctionnement politique des Druides.

      Globalement, je trouve qu'en t'appuyant (majoritairement ?) sur les travaux d'une personne, cette présentation manque beaucoup de richesse, de recul, de complexité en quelque sorte. Il y a un fil conducteur, il me semble: la politique, le pouvoir, le contrôle, sans oublier l'influence gréco-romaine qui aurait donné ""la"" philosophie, en tout cas la vision de l"existence chez les Druides, ce qui me paraît très décalé.

      Je suis un peu déçue, car il y a de nombreuxses chercheureuses et auteurices très serieuxses ayant écrit sur le sujet, notamment Christian-Joseph Guyonvarc'h (qui parle en effet de leur relation avec les mathématiques) et Françoise Le Roux, et tu n'as pas l'air de t'appuyer sur leur travaux.

      Bien sûr, la somme de données est si immense qu'il est tout à fait logique et compréhensible de se concentrer sur les recherches d'une seule personne; mais il me semble que c'est au risque d'être prisonnier d'une perception subjective (comme presque toujours) de son sujet, avec toutes les connaissances scientifiques plus objectives (comme presque toujours) de son temps.

      Je ne dis pas que c'est un mauvais travail, car encore une fois, je n'ai pas les connaissances nécessaires pour pouvoir en juger; mais les propos de cette vidéo me semblent limités.

      Merci tout de même a toute l'équipe de Nota Bene pour son travail, et à une prochaine fois, nya!🐾🖤🌟☘️🎶

    2. Étymologiquement, il est intéressant de mettre Lugdunum (la forteresse de Lug) en Gaule en parallèle avec Lugnasad, le mois de Lug en Irlande. On peut y voir la preuve d'une croyance en un dieu commun, Lug. Et s'il n'y a effectivement pas de druides en Irlande, il y a des fili qui ont les mêmes attributions et la même influence.

    3. C'est tellement pas ce que je croyais qu'il me faudra plusieurs visionnages pour imprégner de cette nouvelle vision des "druides" 😅. Excellente vidéo Grand merci ❤❤❤❤❤

    4. Comment ça les sacrifices humains sont démentis par l'archéologie aujourd'hui ?! Au contraire, chez les Gaulois on ne fait que découvrir de nouveaux sacrifices humains dans l'enceinte des sanctuaires, comme Ribemont-sur-Ancre. Les Gaulois n'étaient pas Astérix et Obélix, c'était des gens pratiquant le sacrifice humain !

    5. Si les sanctuaires gaulois n'étaient pas construits en pierre comment savez-vous qu'ils n'étaient pas décorés ? On peut avoir des édifices en bois très ornés, regardez les églises en bois de Norvège par exemple.

    6. Merci de parler d'Histoire, une discipline qui demande un travail rigoureux de recherche que tu retransmet très bien sur cette chaîne, sans te laisser dicter ta ligne éditoriale. Je soutiens tes engagements extérieurs à YouTube et espère que les pressions et harcèlements ne sont pas trop lourdes pour ton équipe.

    7. Les fosséens ne peuvent venir de "l'actuelle Turquie" … Déjà, c'est anachronique ; ensuite, cette région porte un nom, avec ou sans les turcs : l'Anatolie 😐
      Et c'est pas faut de l'avoir déjà dit dans plusieurs commentaires ! … …

    8. Très intéressant, mais la thèse de Brunaux mériterait d'être confrontée aux travaux de Dumézil sur la/les religion/s des indo-européens. Le lexique du sacrifice et les différentes spécialités des ""clergés"", l"importance du chapelain dans une cour, royale ou non (cf. Mahabharata), la croyance en la métempshychose, … Cela permettrait sans doute de relativiser l'importance de Pythagore sur la pensée druidique ou de la placer dans une perspective plus large.

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