Décoder un portail d’église romane : Vézelay

Je vous emmène voir un joyau de l’art roman en Bourgogne : le portail central de la basilique de Vézelay. Financé notamment par le pèlerinage en faveur de Marie-Madeleine, ce portail, sculpté vers 1120, présente une iconographie unique. Déjà par son thème : la Pentecôte. Mais aussi par ses détails : le sculpteur a mis des personnages exotiques, des créatures mythiques et des signes astrologiques. Pourquoi ces figures ? Ce portail n’est pas seulement une prouesse artistique, mais aussi une fenêtre sur la vision médiévale du monde.

————————

Abonnez-vous à mon infolettre gratuite pour approfondir vos connaissances sur l’art du Moyen Âge : https://decoder-eglises-chateaux.carrd.co/

La DRAC a publié un document coécrit par Christian Sapin et Stéphane Büttner, faisant le bilan des dernières recherches archéologiques sur le monastère de Vézelay : https://www.culture.gouv.fr/Media/Medias-creation-rapide/Brochure-archeologie-DRAC-BFC_Ve-zelay-n-37.pdf

Si vous souhaitez ajouter des informations, poser des questions ou corriger ce que j’ai pu dire, dites-le moi en commentaires 👇

Aujourd’hui on part en Bourgogne voir une de mes églises préférées, la basilique de Vézelay.* Précisément je vais vous montrer un chef-d’œuvre de l’art roman : le portail central de cette église. Une œuvre à la fois spectaculaire et bizarre*.  Le bourg fortifié de Vézelay se trouve sur une colline.

*Et on va se rendre précisément dans la basilique Sainte-Marie-Madeleine.  Contrairement à l’habitude, on ne va pas s’arrêter sur les portails extérieurs, une restauration du XIXe siècle. On s’engouffre tout de suite dans l’église par la porte de gauche* et on pénètre dans

L’avant-nef, un espace tampon entre le bourg et l’église, ou si vous préférez entre le monde profane et l’espace sacré*.  Devant vous, se dresse le portail central de la basilique qu’on va étudier*. Je remercie les deux touristes qui se sont incrustés sur ma photo. Il vous donne une idée de l’échelle de l’œuvre*.

Le portail mesure 10 m 80 de haut*.  Et si on a construit un portail aussi grand et plus généralement une aussi belle église – je l’adore -, c’est parce que l’argent coulait à flot. Je vous explique brièvement pourquoi*. Au Moyen-Âge, vers l’an 1050, les moines de cette église se retrouvent en possession

D’un trésor : les reliques de Marie-Madeleine*. C’est une femme très importante du Nouveau Testament. Une des principales disciples du Christ. Donc posséder ses reliques était d’une grande valeur religieuse*. Elles attiraient des pèlerins venus d’un peu partout. Ces gens pensaient qu’en s’approchant de ces reliques, en priant auprès d’elles*, Marie-Madeleine

Les aiderait à obtenir par exemple le pardon d’une faute ou une guérison miraculeuse. La sainte intercèderait pour eux auprès de Dieu*. Les pèlerins souvent ne venaient pas les mains vides ; ils déposaient des offrandes à la sainte. Offrande que les moines récupéraient pour leur propre nourriture ou pour financer un

Reliquaire encore plus précieux ou pour embellir ou agrandir l’église*.  Grâce aux reliques de Marie-Madeleine, Vézelay est devenu l’une des grandes destinations de pèlerinage dans la France médiévale au même titre que le Mont Saint-Michel, la cathédrale de Chartres ou l’abbaye de Conques…* Retournons sur nos pas pour revoir le portail.

On a de la chance puisqu’’il vient de bénéficier d’une restauration accompagnée d’une étude archéologique* et donc on a des informations toute fraîche sur lui. Je vous mets le document produit par la DRAC en lien sous la vidéo qui vous résume tout ça*. Le portail remonte probablement aux années 1120.

La partie sculptée, peinte autrefois, se compose de 73 blocs. On pourrait croire avoir devant soi un seul bloc. L’ensemble est principalement l’oeuvre d’un seul sculpteur dont le nom nous échappe. Comme souvent cette époque.  Les pèlerins qui se présentaient devant ce portail ne devaient pas très bien le comprendre.

Car son iconographie est originale et bizarre*.  Au centre, se tient le Christ. Mais contrairement à l’habitude, il n’est pas en train de juger les hommes avant de les envoyer au paradis ou en enfer. De ses doigts jaillissent des rayons qui se répandent sur les personnages à ses côtés.

En fait vous n’êtes pas en face d’un jugement dernier mais de l’épisode de la Pentecôte. La Pentecôte, c’est bien sûr une fête chrétienne mais elle renvoie à un événement précis* : 50 jours après sa résurrection, le Christ dispense l’Esprit Saint sur la tête de ses disciples, dont les apôtres.

Dès lors ils acquièrent le pouvoir de parler plusieurs langues. Ils sont donc prêts à évangéliser les populations des différentes nations*. Je ne connais pas d’autres portails qui représentent cette scène de la Pentecôte. Vous me contredirez éventuellement en commentaire.  Dans le détail, on pourrait critiquer le sculpteur pour sa maladresse*.

Regardez les proportions du Christ. Par rapport à son corps, il a une trop petite tête et de trop grandes mains. Du moins une trop grande main. L’autre est cassée. La posture de Jésus semble bancale : son buste est de face tandis que ses jambes semblent de profil.

En fait, ce sculpteur comme tous ses collègues de l’époque romane ne cherchent pas le réalisme. Ce n’est pas son objectif. D’abord, le sculpteur cherche plutôt à montrer la hiérarchie entre les personnages*. Le Christ est plus grand que les apôtres* qui sont eux-mêmes plus grands que les simples hommes*.

Autrement dit, l’échelle des personnages dépend de leur importance dans le christianisme. Le réalisme intéresse moins le sculpteur que le symbolisme*.  L’artiste se concentre aussi sur le traitement graphique de son sujet. Il multiplie les plis des vêtements, crée des tourbillons au niveau de la hanche ou du genou.

Il sait même donner du mouvement au bas de la robe du Christ*. Non, cet artiste n’est pas maladroit ; il est au contraire habile*. À son œuvre de pierre, il a su insuffler du dynamisme*.  Mais pour l’instant, je me suis consacré à vous présenter la partie centrale de ce

Portail, le tympan, c’est-à-dire la zone semi-circulaire. Autour se déploient des scènes et des personnages beaucoup plus curieux.  Précisément deux voussures enveloppent le tympan*. Ecartons la voussure 2 qui est juste un décor végétal, passons directement à la voussure 1*. Allez-vous reconnaître ses éléments ? Ce sont une succession de médaillons sculptés d’humains et d’animaux. 

On voit* un personnage au bouclier qui rêvasse ? Deux autres qui semblent se battre. Pour vous mettre sur la piste, remarquez le taureau* et l’homme qui fauche*. Si vous avez l’habitude de regarder des portails d’église, vous avez reconnu la représentation symbolique du calendrier.

Alternent les signes du zodiaque : le taureau*, les Gémeaux*, le cancer*, avec la représentation des mois de l’année ou des saisons : juin*, moment du fauchage, le printemps qui verdit* (des plantes poussent sur le lui), le guerrier* dans l’attente de la bonne saison pour combattre. On se situe donc vers avril ou mai*.  

Grâce à cette clé de lecture (le calendrier), tout devient plus facile à interpréter. Ici le sagittaire* reconnaissable à sa forme de centaure. Ensuite*, l’homme qui abat le cochon. Cette activité symbolise le mois de novembre ou de décembre. Autrefois, c’est à ce moment qu’on tuait le cochon pour faire des réserves de nourriture

Pour l’hiver. Ensuite* ne croyez pas à un dromadaire, je vous le jure, il s’agit du scorpion, le signe zodiacal ! Pardonnez le sculpteur ; il n’en a sûrement jamais vu de sa vie d’où cette représentation étrange*.  En résumé, les médaillons de cette voussure 1 symbolisent les mois et le zodiaque, c’est-à-dire

Le cycle du temps sur terre et dans le cosmos. Un cycle dont la mécanique est, pense-t-on, contrôlé par Dieu. D’où sa présence sur un portail chrétien. Ne cherchez pas de lien avec l’astrologie*.  Reste à analyser la première couronne, dite fausse voussure*.

Des personnages vêtus de costumes originaux, de drôle de coiffes se tiennent dans des compartiments*. Il représente les différents peuples étrangers que les apôtres doivent convertir après le miracle de la Pentecôte. Avez-vous remarqué que ces trois personnages orientaux portent de hauts talons ?  Il y a d’autres personnages étranges*.

Ceux-là semblent se plaindre de leur jambes, de leurs pieds*. Celui-ci mériterait un développement plus important. J’en parlerai non pas dans cette vidéo mais dans ma newsletter que j’envoie chaque dimanche. Vous pouvez vous y abonner. C’est gratuit ; le lien se trouve dans la description*.  Tous ces personnages pourraient être des infirmes.

Impression que semble conforter le compartiment suivant*. Le premier groupe pourrait être un aveugle* accompagné de son guide. Je parle au conditionnel car les historiens de l’art débattent encore sur l’interprétation de toutes les figures de ce portail* ; dans le deuxième groupe, une personne pense sa tête vers son compagnon.

Est-ce un sourd ?* Tous ces handicapés ne sont sûrement pas représentés par hasard. Le message est peut-être : vous êtes infirmes mais en écoutant le message des apôtres, en vous convertissant au christianisme, vous pourrez être guéris de vos infirmités. Mais je parie que votre regard a glissé sur les personnages suivants*.

Oui, ce sont des hommes à tête de chien, des cynocéphales pour prendre le terme savant. Et ça continue dans les compartiments suivants*. Ici, les hommes et femmes sont affublés de groins de porcs.  Et ça continue dans le linteau*, la grande pierre horizontale au-dessus de la porte. Regardez les détails*.

On voit des personnages tellement petits qu’ils ont besoin de prendre une échelle pour monter à cheval. On les interprète comme des pygmées d’Afrique. Plus curieux, les personnages suivants* portent de grandes oreilles. Il faut reconnaître ici des panotéens. La légende raconte que leurs oreilles étaient si grandes qu’ils pouvaient la nuit s’en

Recouvrir comme couverture*.  Comme les infirmes, comme les peuples orientaux, ces monstres humains sont jugés dignes de recevoir la révélation des apôtres, la parole du Christ. Même eux peuvent être christianisés ! Le message du christianisme est vraiment universel selon ce portail ! 

Vous pouvez vous dire : ah, ces gens du Moyen Âge, ils étaient naïfs, crédules*. Ils croyaient à des hommes à tête de chien, à grandes oreilles, à groin. En fait, ils ne faisaient que reprendre les récits des auteurs antiques, des Grecs, des Romains, qui évoquaient ces drôles d’humains.

On racontait qu’ils vivaient aux marges du monde connu, en Afrique, dans les Indes. En raison de leur éloignement, les gens du Moyen Âge était incapable de vérifier ; donc ils s’appuyait sur leurs prédécesseurs savants de l’Antiquité. Ils croyaient vraiment que des cynocéphales vivaient en Inde et communiquaient en aboyant

Ou en faisant des signes de la main*.  Au final, ce portail roman nous amuse par la fantaisie avec laquelle les gens du XIIe siècle s’imaginaient les autres peuples… Mais un événement, quelques centaines d’années plus tard, leur démontrera qu’ils ne se trompaient pas totalement*.

En 1492, Christophe Colomb aborde l’Amérique et découvre des peuples qui ne lui ressemblent pas. Au point de se demander si ces Indiens appartiennent bien à l’humanité.