Alors que la loi immigration est en passe d’être votée avec les voix du Rassemblement national, cinq étrangers vivant en France disent leur « peur » et racontent leurs parcours. Ils sont celles et ceux que l’ont n’entend jamais. « À l’air libre » leur donne la parole.

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Salut, bienvenue sur Mediapart. À l’heure où nous enregistrons cette émission, la loi immigration est sur le point d’être votée avec les voix du Rassemblement national. Nous le disons clairement, à Mediapart : cette loi est dangereuse. Elle introduit des mesures proposées depuis 40 ans par l’extrême droite, qui jubile, et elle attaque

Les droits fondamentaux des étrangers, si bien que 150 ONG et syndicats dénoncent un texte à la xénophobie décomplexée. Ces étrangers, dans les médias, dans les discours politiques, il est tout le temps question d’eux, en réalité, y compris avec des qualificatifs parfois abjects, mais elles, mais eux, on ne les entend jamais.

Ce soir, sur Mediapart, cinq d’entre eux prennent la parole. Alors que leur vie, leur parcours, leurs intentions supposées sont sans cesse caricaturés, ils nous racontent leurs histoires, leurs parcours, loin des fantasmes et des discours racistes. Vous regardez « À l’air libre », l’émission d’actualité de Mediapart. Ce mardi, un accord politique funeste

A donc été scellé au Parlement entre les macronistes, la droite LR et l’extrême droite, le Rassemblement National, sur le dos des étrangers, des exilés et des immigrés. Cet accord, il s’appelle la loi immigration et il met en danger les droits fondamentaux des étrangers qui vivent en France. Dans un instant Gaudilene Martins,

Dramane Sawadogo, Bchira Ben Nia, Aboubacar Dembele, Tassadit Rebah, cinq étrangers qui, comme beaucoup d’autres, vivent en France, nous diront ce qu’ils pensent de cette loi. Ils vont surtout nous raconter leurs récits, des récits d’exilés, de réfugiés, de travailleurs étrangers qui vivent en France et sont déjà soumis à des délais très longs,

Aux décisions parfois incompréhensibles, voire à l’arbitraire. Nejma Brahim, salut. Tu suis à Mediapart les questions migratoires. Est-ce que tu peux déjà nous présenter nos invités ? Salut Mathieu, salut, tout le monde. Alors, on a le plaisir d’accueillir Tassadit Rebah. Vous avez 32 ans, vous vivez en Île-de-France

Et vous êtes algérienne. Vous êtes géomètre de profession, un métier en tension pour lequel vous avez été recrutée en France. Bienvenue à vous. À vos côtés, Dramane Sawadogo, 31 ans. Vous vivez dans l’ouest de la France, vous êtes Burkinabé, actuellement sans emploi. Vous avez été secouru en 2021 en pleine mer Méditerranée

Par l’Ocean Viking, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée sur lequel j’étais à bord. C’est là qu’on s’était rencontrés. Je suis ravie de vous retrouver. Bienvenue à vous. Bchira Ben Nia, je me tourne vers vous. Vous avez 44 ans, vous vivez en Île-de-France, vous êtes militante de la lutte des sans-papiers.

Vous êtes également membre de la Marche nationale des solidarités, mais aussi de la Coordination des sans-papiers de Paris, la CSP 75. Bienvenue à vous parmi nous. Aboubacar Dembele, bonjour. Vous avez 31 ans, vous vivez aussi en Île-de-France. Vous êtes porte-parole des travailleurs sans-papiers de Chronopost à Alfortville.

Vous êtes en grève depuis 2 ans maintenant. 2 longues années de lutte pour votre régularisation, vous nous en direz un peu plus plus tard, dans le courant de cette émission. Et enfin, Gaudilene Martins, bonjour, bienvenue à vous. Vous avez 39 ans, vous vivez également en Île-de-France, vous êtes Brésilienne de nationalité.

Vous gardez de jeunes enfants au domicile des particuliers et vous avez fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, ou une OQTF, qu’on applique habituellement plutôt aux étrangers qui ont commis peut-être des délits, par exemple. Vous, ça n’est absolument pas votre cas et vous contestez aujourd’hui cette OQTF auprès du tribunal administratif.

Vous nous raconterez ce que ça implique pour vous. Bienvenue à toutes et tous, on est ravis – de vous avoir parmi nous ce soir. – Merci beaucoup d’être avec nous ce soir. Nejma, on commence évidemment par cette actualité : la loi immigration au Parlement, d’abord rejetée, maintenant en passe d’être adoptée

Quand on enregistre cette émission, avec des concessions majeures à la droite LR et à l’extrême droite. C’est la 30e loi immigration votée en 30 ans et c’est le fruit de cet accord politique entre les macronistes, Les Républicains, auxquels s’ajoutent les voix du Rassemblement national. Un texte très dur.

Effectivement, Mathieu, c’est un texte qui est venu planer au-dessus de la tête des étrangers depuis maintenant un an et demi, donc c’est quand même très long. C’est un texte qui a été repoussé à plusieurs reprises, faute de majorité à l’Assemblée nationale, et qui a connu un ultime rebondissement

La semaine dernière alors qu’il arrivait en séance publique à l’Assemblée nationale. Dès le premier jour, il a été rejeté par les députés. La Défenseure des droits l’a dit elle-même : il représente une grave atteinte aux droits fondamentaux des personnes étrangères qui vivent en France.

La version du texte tel qu’il est sorti du Sénat s’inspire des rêves les plus inhumains de l’extrême droite, jusqu’à la préférence nationale, qui a été consacrée. Voici un petit aperçu des deals qui ont été trouvés ces derniers jours entre la macronie et Les Républicains, sous les applaudissements, bien sûr, du Rassemblement national.

Conditionner les allocations familiales à 5 ans de présence sur le territoire français, 2 ans et demi pour les travailleurs, dont la question des APL, donc l’aide au logement. Pour les personnes qui ne travailleraient pas, elles n’y auraient tout simplement pas droit. Les attaques sur le droit du sol avec la fin de l’automaticité

De la nationalité française pour les mineurs nés de parents étrangers, la déchéance de nationalité pour les binationaux qui se seraient rendus coupables d’un meurtre sur des personnes détentrices de l’autorité, par exemple un policier, une réforme de l’Aide médicale d’État, ou l’AEM, dont on a beaucoup entendu parler, réforme qui a été promise

Par Élisabeth Borne en personne, qui s’est fendue hier d’un courrier adressé à Gérard Larcher, l’AME, qui, je le rappelle, est un dispositif qui permet aux personnes étrangères en situation irrégulière en France d’accéder tout simplement à des soins médicaux et c’est un dispositif qui ne représente que 0,4 %

Des dépenses de la Sécurité sociale aujourd’hui. – Et ça continue, Nejma. – Et ça continue. Le rétablissement du délit de séjour irrégulier, gravissime, avec la possibilité de placer les personnes concernées en garde à vue et de leur donner une amende. La mise en place de quotas d’immigration.

L’extrême droite en rêvait, eh bien, aujourd’hui, ça devrait passer. Des quotas qui seraient donc définis au Parlement chaque année. La restriction de l’accès aux tarifs réduits dans les transports en commun pour les personnes sans-papiers. Une caution pour la délivrance d’un titre de séjour étudiant. On s’attaque donc aux titres de séjour étudiants,

Sauf pour ceux qui présenteraient un parcours dit exceptionnel. Même la Conférence des présidents d’université, qui s’exprime rarement en dehors de ces sujets, s’y est opposée hier. Les restrictions sur le titre de séjour étranger malade, dont il faudrait aujourd’hui durcir l’accès alors qu’en réalité, c’est l’honneur de la France

De soigner les personnes étrangères, ou encore le durcissement, et on en parlera tout à l’heure, du regroupement familial. Une procédure qui est déjà en réalité un parcours du combattant pour les personnes qui se lancent dans cette procédure. La liste des atteintes aux droits des étrangers est très, très longue.

Et pourquoi cette loi est-elle dangereuse, comme tu l’écris, et nous l’écrivons ce soir sur Mediapart ? Eh bien, elle est dangereuse, Mathieu, parce qu’elle touche à monsieur et madame tout le monde, des personnes comme vous et moi qui étudient en France, qui travaillent en France ou qui fondent une famille en France.

On est en réalité très loin de la caricature formulée par Gérald Darmanin sur les délinquants dits étrangers. Il avait beaucoup mis l’accent sur cette question au départ, quand il avait annoncé ce projet de loi et force est de constater qu’aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de l’humanité

Qu’il avait à l’époque vantée et dans la version du texte étudiée en commission mixte paritaire, hier et aujourd’hui. Jamais aucun gouvernement n’avait donné autant de billes à l’extrême droite. Le Rassemblement national s’est félicité d’avoir obtenu des « victoires idéologiques », je cite. Toutes les voix qui s’élèvent en défense des droits des étrangers

Sont unanimes : cette loi, votée en l’état actuel des choses, serait l’une des pires de la Ve République en matière d’immigration. Bchira, vous êtes une militante de longue date de la lutte des sans-papiers. Vous travaillez, vous les aidez au quotidien aussi, vous militez avec eux.

Nejma, on a pris ce temps, et c’est une liste très longue, de toutes les mesures qui sont contenues dans cette loi. Qu’est-ce que ça vous inspire ce soir ? Bonsoir à toutes et à tous. Effectivement, ça fait une année, on était avec Nejma sur un plateau l’année dernière

Et ça fait une année maintenant, plus d’une année qu’on parle de ce projet de loi asile immigration et l’atteinte qu’il porte à la liberté, alors que c’est une loi qui se présente comme une loi humanitaire entre fermeté et humanité. Mais là, on vient de citer, on vient de citer de quoi il s’agit.

Dans cette loi, elle est où, l’humanité ? On voit où l’humanité dans tout ça ? On voit où l’humanité dans l’attaque au droit d’asile qui est établi depuis une dizaine d’années ? C’est où, l’humanité, par rapport aux attaques au droit de santé, qui est normalement un droit établi et un droit reconnu,

C’est des droits humains, et elle est où l’humanité de ne pas écouter les premiers concernés ? Ça fait un an qu’on parle, ça fait un an qu’on discute, ça fait un an qu’il y a des débats, mais on n’entend jamais les premières personnes concernées, les demandeurs d’asiles,

Les sans-papiers, par rapport à ce qu’ils pensent et si on parle des sans-papiers, et on parle des personnes exilées, c’est dans le cadre de criminalisation, dans le cadre de si on parle de l’Aide médicale de l’État, les tarifs réduits, les allocations, c’est qu’on parle des personnes

Qui viennent « profiter du système » alors que la réalité est autre. Ce que ça m’inspire, c’est vraiment la peur de l’avenir, la déception, parce que ça fait des années qu’on milite, ça fait des années qu’on parle, ça fait des années qu’on se mobilise,

Ça fait des années qu’on essaye de faire entendre nos voix juste pour dire : « Nous ne sommes pas l’image que vous construisez autour de nous, il y a une image autre des personnes exilées. » Aboubacar Dembele, je vous vois réagir. Vous êtes porte-parole de la lutte

Des travailleurs sans-papiers du groupe La Poste, notamment de Chronopost, dans le Val-de-Marne. On reviendra sur cette grève après. Quand vous voyez cette loi, là, ce soir, qu’est-ce que vous vous dites ? Alors tout d’abord, merci à vous pour cette invitation, parce que c’est pas tous les jours que les immigrés prennent la parole.

Cette loi sur l’immigration, déjà le nom, il est basé sur un mensonge, elle se dit une loi de l’immigration pour contrôler l’immigration et améliorer les conditions d’emploi. Donc c’est une affirmation à double mensonge. Déjà, rien ne peut contrôler les frontières. On entend tous les jours dire :

« On peut pas accueillir la misère du monde ». S’ils peuvent pas accueillir la misère du monde, est-ce qu’ils peuvent arrêter de créer la misère partout ? Ceux qui viennent aujourd’hui, ils fuient quelque chose, soit la crise économique, qui est causée par l’exploitation économique, soit la guerre, qui est déclenchée d’ici ou d’ailleurs.

Donc ces gens-là viennent pour trouver une vie meilleure, pour travailler, pour vivre dignement. Aujourd’hui, avec ce projet de loi asile et immigration, qu’est-ce qu’on entend ? Immigré = délinquant. C’est une discrimination, une loi raciste parce qu’elle est basée sur une notion de menace à l’ordre public.

Une notion dont on ne connaît pas sa définition juridique. Elle est raciste parce que la notion de menace à l’ordre public pour les personnes étrangères n’est pas la même pour les personnes françaises. Il suffit de traverser la route en dehors des passages cloutés ou même d’uriner sur la voie publique :

Vous êtes tout de suite considéré comme une menace à l’ordre public. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? C’est donner un maximum d’interdiction de retour sur le territoire. Cette interdiction-là et cette obligation de quitter le territoire, on les donne à qui ? On les donne aux personnes qui travaillent

Ou des personnes qui sont là depuis des années, qui ont leur vie ici, qui ne sont aucun danger pour l’ordre public et pour l’État français. On entend dans cette loi asile immigration dire que c’est une loi qui va sécuriser les Français et les Françaises. Mais de quoi ? Mais de quoi ?

C’est pour dire les problèmes que les Françaises et les Français ont, c’est à cause des immigrés. Donc le vrai problème, ce n’est ni l’immigration ni les immigrés. En parlant de travailleurs sans-papiers, on parle d’une classe ouvrière, donc tous ces gens-là, c’est le jeu de l’extrême droite. Au lieu de parler

D’une classe ouvrière, on pointe du doigt sur une identité. Ces gens-là qui travaillent, qui cotisent, qui payent des impôts, c’est le système qui profite des travailleurs sans-papiers, c’est pas les sans-papiers qui profitent du système, parce qu’ils travaillent, ils cotisent et payent des impôts. L’Aide médicale d’Etat, combien de personnes en ont ?

La sécurité sociale se rend compte que vous travaillez et vous demande de fournir votre dernier bulletin de paye et vous prive d’Aide médicale d’État. Vous n’avez pas droit à une carte Vitale mais vous continuez à travailler, à cotiser. Alors dans cette loi-là, ils visent à appliquer la double peine.

On va revenir sur l’aide médicale, justement. Tassadit Rebah, vous êtes citoyenne algérienne, résidant en France. Vous avez été recrutée en Algérie par des entreprises françaises puisque vous êtes géomètre et vous travaillez dans le domaine du BTP. Donc vos compétences étaient finalement recherchées et c’est pour ça que vous êtes venue en France.

Qu’est-ce qu’ils vous inspirent, ces débats des derniers mois autour de la loi immigration et le vote de cette loi-là ? Tout d’abord, merci à vous de m’avoir invitée. Cette loi, sincèrement, elle me fait peur. – Pourquoi ? – C’est déstabilisant. Ils veulent pas d’immigrés alors que réellement, on a besoin de nous.

Par exemple, moi, c’est le métier en tension. Il est au top 3 des métiers en tension, donc on a besoin de moi, mais quand j’entends ce qui se passe et tout, ça me fait peur. Le discours ambiant vous fait peur ? – Oui. – Est-ce qu’avant de venir d’Algérie, vous imaginiez qu’on traverserait

Une telle crise politique ? J’ai envie de parler de crise politique aujourd’hui, face à ce qu’ils veulent mettre en place en matière d’immigration en France. Non, je l’avais pas en tête. Et d’ailleurs, je me suis lancée dans une procédure et là, je comprends que le combat est long, vraiment long.

Une procédure de regroupement familial, dont on va parler en détail puisqu’il y a des mesures sur le regroupement familial dans cette loi. Nejma, on va peut-être rentrer dans le détail de la loi. Un des éléments… Alors, t’as cité beaucoup d’éléments extrêmement problématiques et xénophobes, comme le disent les ONG, dans cette loi

Mais on peut commencer par un des éléments : le délit de séjour irrégulier. Tu vas nous expliquer ce que c’est. Il avait été supprimé en 2012, il est aujourd’hui rétabli. Qu’est-ce que ça veut dire symboliquement ? Et qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Symboliquement, ça veut dire qu’en fait,

Le simple fait d’être sans papiers aujourd’hui sur le territoire français représente donc un délit aux yeux de la loi, et concrètement, ça veut dire que toute personne en situation dite irrégulière peut se retrouver en garde à vue et devoir payer une amende juste à cause de ça. Rappelons qu’il existe quand même

Déjà en France le principe de la retenue administrative, qui permet donc d’interroger une personne en situation irrégulière 24 heures lorsque la situation le nécessite aux yeux des autorités. Mais surtout, rappelons qu’en fait, cette mesure, elle va à l’encontre du droit européen, ce que, j’ai l’impression, les parlementaires ont oublié.

Dramane, vous n’avez pas parlé jusqu’ici. Vous, Nejma l’a dit, vous étiez en pleine mer quand l’Ocean Viking vous a secouru. On reviendra peut-être tout à l’heure un peu en détail sur votre parcours, mais aujourd’hui, vous vous trouvez dans une situation. Cette idée, le fait d’être en France sans papiers,

Est finalement à nouveau pénalisé, redevient un délit, vous vous retrouvez dans une situation où vous et vos enfants, en France… Actuellement, vous vivez dans l’ouest de la France. Vous avez un récépissé de titre de séjour, mais votre épouse, ce n’est pas le cas.

Ça veut dire que votre épouse se retrouve dans cette situation. – Oui. – Oui, parce qu’il faut le rappeler. Votre épouse, elle, elle n’a pas obtenu la protection que vous, vous avez obtenue, – c’est ça ? – Oui. Qu’est-ce que ça vous inspire, du coup,

Que ce délit d’être sans papiers est remis dans la loi ? Pour le moment, je tenais à vous dire merci de nous inviter sur ce plateau parce qu’on ne peut pas prendre les décisions sur les lois sans aviser les concernés, c’est-à-dire nous, de notre pays d’origine,

Notre parcours jusqu’en France. Et quand on suit les médias, il y a seulement un seul mot : « Les aides, les aides, les aides. » Mais déjà, ces aides… La population française est une population merveilleuse. Mais la droite n’explique pas réellement ce qui se passe en dehors de la France.

Il y a des questions qu’il faut poser. L’immigration, qu’est-ce qui provoque l’immigration ? Pourquoi les immigrés viennent beaucoup en France ? Et là, c’est des questions à détailler. Pourquoi elles quittent leur pays pour la France ? Parce que la France n’est pas le premier pays

D’accueil des migrants. Il y a l’Espagne et il y a l’Italie. Mais pourquoi ils restent pas dans ces pays ? Ils sont focalisés sur les aides. Mais je tenais à leur dire, il y a des gens qui ne savent même pas qu’il y a des aides en France

Lorsqu’ils ne viennent pas sur le sol français. C’est-à-dire, vous ne venez pas parce qu’il y a l’AME. Non, je savais même pas qu’il y avait des aides en France. Par contre, je connaissais pas la CAF, je connaissais pas le RSA, les APL. C’est arrivé en France que j’ai découvert tout ça.

Qu’est-ce qui fait que vous venez en France ? C’est les attaches familiales ? C’est la maîtrise de la langue ? – Vous avez débarqué en Italie. – Oui. Vous auriez pu rester en Italie, mais vous avez fait le choix de vous installer en France et c’est votre droit.

Pourquoi ? Pourquoi la France ? Parce que je viens du Burkina-Faso, une ancienne colonie française. Donc il y a l’histoire qui nous relie et les gens ne comprennent pas cette partie. Moi, étant en Italie, personne ne m’écoute, et même quand on veut m’écouter, il y a la compréhension de la langue.

Et comment tu t’expliques en face d’un Italien, quelqu’un qui vient du Burkina-Faso ? Bchira, comment vous voyez ce retour du délit de séjour irrégulier ? Ça va concerner énormément de sans-papiers. Vous militez pour leurs droits. Qu’est-ce que ça veut dire à partir du moment où cette loi rentre en vigueur ?

En fait, d’après nos expériences avec le collectif des sans-papiers, – Dembele peut aussi parler de ça – c’est pas nouveau. Chaque fois qu’un sans-papiers quitte la maison pour travailler, tout le temps, il y a cette crainte d’être contrôlé sur le faciès et d’avoir par la suite une obligation de quitter

Le territoire ou une interdiction de retour au territoire. Sauf que maintenant, on utilise ça pour dire : « On va rétablir ça. » Alors ça existe, et nous, on fait face chaque jour à des camarades qui se font arrêter et à des mobilisations, et après cette OQTF,

Il faut un an, ou même l’interdiction de retour au territoire, ça empêche la personne d’être régularisée. C’est le quotidien, ces mesures d’éloignement, ces mesures de criminalisation, juste parce que la personne, elle n’a pas les bons papiers, un titre de séjour pour vivre régulièrement sur le sol.

Mais là, il y a cet effet de publicité ou cet effet de : « Voilà, on va vous protéger de ces sans-papiers, là. » Il y a ce volet criminalisation qui est bien clair dans la loi. Là, ça y est, on veut faire de la personne qui existe

Sur le sol français sans avoir un permis de séjour un criminel. Cette étiquette de criminel, ce volet qui est un volet très dangereux dans le projet de loi, alors que le contrôle, ça existe, l’enfermement, ça existe, les lieux d’enfermement qui sont nombreux. Et on appelle depuis des années

À la fermeture de ces lieux d’enfermement. Et pour la personne exilée, ça va créer plus de crainte, plus d’angoisse, ça devient de plus en plus chronophage pour la personne. Une peur permanente, un harcèlement psychologique permanent, ça va créer ça de plus en plus, et ça dans l’objectif

De décourager les personnes d’être sur le sol français et de les faire partir par peur d’être contrôlées et expulsées. On va passer justement… Vous mentionnez, Dramane, la question des allocations, des aides, etc., on va y revenir juste après, mais peut-être, on voudrait bien entendre Gaudilene. Bonjour, Gaudilene.

Vous êtes dans une situation, vous êtes garde d’enfants ici. Vous avez quitté le Brésil pour des raisons personnelles, puis vous êtes ici venue ici en France. Aujourd’hui, vous êtes sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français alors que vous travaillez. Vous avez fait votre vie ici.

Cette peur dont parle Bchira, est-ce que c’est ça aussi qui vous occupe, là, en ce moment ? C’est ça que vous avez en tête ? – Oui. – Pardon, peut-être que la question – est maladroite. – Quand j’ai reçu ma carte d’OQTF, j’étais en panique, oui.

Je me suis demandé ce que j’allais faire. Je travaille, je paie des impôts, je paie mon loyer, je fais tout correctement. Mais pourquoi la préfecture me demande de quitter la France ? – Qu’est-ce qui se passe ? – Vous n’avez pas compris. Oui, je n’ai pas compris.

Et après, j’ai trouvé une association qui m’a aidée à écrire une carte pour le tribunal administratif, et j’ai reçu une carte et je reste pour une année. Mais c’est tellement difficile parce que moi, je ne me sens pas comme chez moi. Je sors le samedi, je vais à l’église,

J’y reste tout le temps parce que… – Vous évitez de sortir. – Oui. Parce que vous avez peur – de croiser la police. – Oui, parce que c’est compliqué. – Oui. – Oui. Désolée. Nejma, donc, venons à ce sujet, justement, dont parlait Dramane.

Un des gros sujets de la loi, c’était finalement le souhait des sénateurs, au départ, des sénateurs de droite, très inspirés par le Front national, et c’est aujourd’hui en grande partie dans la loi, les prestations sociales – et les allocations familiales. – Oui, c’est ça.

Alors c’est vrai que ça a beaucoup clivé, là, dans le cadre des discussions en commission mixte paritaire. Mais concrètement, en fait, ça veut dire que des familles qui vivent aujourd’hui en France pourraient se voir privées des prestations sociales ou de l’APL si elles n’ont pas

Ces cinq années de présence sur le territoire français. Cinq ans, c’est quand même énorme, il faut le rappeler. Alors pour les personnes qui travaillent, ce serait réduit à deux ans et demi, mais ça reste énorme aussi, sachant que si elles travaillent, ça veut dire qu’elles cotisent

Et que normalement, ça devrait leur ouvrir des droits. C’est quand même la base. Et donc ça montre un peu qu’on est vraiment à un point de bascule qui montre combien cette notion de préférence nationale, en tout cas sur les aides sociales, sur les prestations sociales, a eu le temps d’infuser

Dans les esprits. Et en gros, ça veut dire qu’on assume aujourd’hui de privilégier les Français aux étrangers en considérant que les seconds peuvent avoir moins de droits, et ça, c’est absolument gravissime. Oui. Bchira, cette question-là, à la fois de ce que disait Dramane, c’est-à-dire ce discours

En permanence, et on l’a beaucoup entendu dans l’année en cours, quand cette loi a été discutée, particulièrement quand il y a des moments comme ça dans l’actualité où on en parle beaucoup, c’est toujours le même discours qui revient : « Ils viennent… » C’est pas récent, c’est très ancien, comme discours.

« Ils viennent attirés par le modèle social français, par les prestations sociales. » Là, cette loi, elle est censée d’une certaine façon répondre à ça, avec des guillemets. Qu’est-ce que ça vous inspire, vous ? Qu’est-ce que ça nous dit de la façon dont on voit l’immigration en France ?

Oui, c’est un discours déjà très grave, stigmatisant pour nous. Vous pouvez imaginer les milliers de personnes exilées qui se trouvent en France, que ce soit réfugiés, sans-papiers. Qu’est-ce qu’on ressent en entendant tout le temps ça ? Si on parle des étrangers, on valorise jamais l’immigration,

On parle jamais de ce qu’apporte l’immigration à l’autre. Tout le temps, on… Moi, j’appelle les personnes qui lancent ce discours de se positionner à la place de l’autre, si cette personne était dans un pays étranger. Qu’est-ce qu’on ressent nous, en entendant ça ? Déjà, ça, c’est la base.

Et on peut dire aussi qu’il y a des enfants. Les personnes exilées, il y a différents âges, et il y a des enfants qui voient aussi la télé, qui entendent, qu’est-ce qu’ils vont ressentir ? La deuxième chose, si on veut parler de ça, voilà, objectivement, la question de l’APL, c’est le système français.

L’APL, c’est pour qui ? Pour les personnes qui travaillent, mais il n’y a pas assez de ressources pour un étudiant. Mais à la base, cette personne, elle travaille, cette personne, elle doit être logée. C’est une aide pour le logement. On veut dire quoi ?

Est-ce que la personne, si elle ne peut pas accéder à un logement en privé, on veut dire quoi ? Est-ce que cette personne, elle sera privée de logement ? Le résultat, ça sera quoi ? Un sans-abri ? Créer de plus en plus de sans-abris ? Créer des travailleurs qui doivent travailler

35 heures ou plus, mais ils ne peuvent pas trouver de logement faute de ressources ? Qu’est-ce qu’on veut créer ? Une classe ouvrière qui est au second degré par rapport à une classe ouvrière qui peut avoir l’accès à des allocations, à des primes d’activité ? Déjà, ça existe.

La prime d’activité, les personnes exilées qui ne sont pas sur le territoire depuis cinq ans, c’est des travailleurs de second degré qui n’ont pas accès à cette allocation. Déjà, ça existe, ça, sauf qu’on ne parle pas de ça. Si on veut créer vraiment une deuxième classe, sous-classe dans la classe des ouvriers…

Ils nous disent ça. Qu’est-ce que… C’est une question simple : qu’est-ce qu’on veut créer – par ça exactement ? – Aboubacar, vous, qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous avez l’impression que les étrangers viennent en France – pour profiter des aides ? – Non, pas du tout.

C’est ça que je disais au début. C’est le système qui profite des étrangers, c’est pas les étrangers qui profitent du système. En parlant d’allocations familiales, on parle de quoi ? On parle d’une femme qui vient d’avoir un enfant. C’est cette aide-là. C’est de ça qu’on parle.

Donc la priver de cette aide-là, ça va aider à laisser l’enfant – crever de faim. – Quand vous dites : « C’est des étrangers dont profite le système économique », c’est comme ça que vous voyez la façon dont justement vos droits en tant que sans-papiers travaillant pour une filiale de La Poste

Ne sont pas reconnus en France. Pourquoi ça dure aussi longtemps ? Alors quand je disais que c’est le système qui profite des travailleurs en situation irrégulière, c’est valable pour les travailleurs à Chronopost, nous, qui sommes en grève depuis 24 mois. C’est valable pour les travailleurs qui travaillent dans la restauration, dans la plonge,

Qui font les marteaux piqueurs, c’est valable pour les sans-papiers qui s’occupent des personnes âgées, c’est valable pour les personnes qui gardent des enfants au domicile de leurs parents en leur absence… Qui étaient souvent les travailleurs en première ligne qu’on a applaudis pendant le Covid.

Pendant le Covid, quand le pays était presque à terre, c’est ces gens-là qui faisaient tourner l’économie. Alors qu’est-ce qu’ils gagnent, derrière ? Il faut travailler soit avec un alias ou sous un autre nom, avec une fausse identité, ce qui est interdit, d’ailleurs, peur importe où vous cotisez, vous cotisez, vous payez des impôts.

Si vous travaillez avec la pièce d’identité de quelqu’un d’autre, à la fin de l’année, la personne va recevoir des impôts énormes et vous l’aidez à payer, donc vous payez les impôts, vous payez vos cotisations parce que c’est prélevé à la source. Mais derrière, vous gagnez quoi ? Vous gagnez rien.

Si vous tombez malade, vous pouvez pas vous soigner, – s’il n’y a pas l’AME. – Si vous faites un accident – du travail. – C’est pas reconnu. Un accident du travail, c’est pas reconnu. Si vous appelez vos patrons en disant : « Je suis malade,

Je peux pas venir aujourd’hui, » vous êtes en fin de mission. Ils vous diront clairement : « Si c’est pas vous, c’est un autre sans-papiers. » Chez Chronopost, c’était pareil, les cadences sont infernales. C’est pour ça, quand tout à l’heure, ma collègue, elle parlait de régularisation des métiers en tension,

Mais ce n’est pas une régularisation, c’est créer une classe ouvrière esclave. C’est de l’esclavage moderne, ça veut dire : « Vous êtes bons qu’à faire ça. » Si vous décidez demain de dire que vous ne voulez pas faire ça, on vous retire votre titre de séjour.

Le ministre de l’Intérieur l’a bien dit : « C’est pas un titre de séjour qui va ouvrir des droits. » Donc vous êtes relié un titre de séjour dont la durée et la validité vont dépendre du patronat et du gouvernement. Les gens, ils n’ont pas besoin de ça. Ce que nous, nous demandons,

C’est pas de la pitié, c’est pas des aides. On demande la reconnaissance de nos droits. On demande une régularisation avec un titre de séjour pérenne. Pour pouvoir travailler. Oui, c’est tout, et vivre dignement. Nejma, peut-être un point. La régularisation de travailleurs sans-papiers

Dans les métiers en tension était un élément très mis en avant par le gouvernement, toute l’année dernière. Là, en, réalité dans la loi, il a non pas complètement disparu, mais quasiment disparu. C’est ce que nous dit Aboubacar. Oui. Aboubacar a totalement raison. C’était la mesure dite humaniste

Qui avait été présentée par le gouvernement, qui était d’ailleurs aussi portée par Olivier Dussopt, je le rappelle, le ministre du Travail, qui a totalement disparu par la suite concernant cette mesure, et c’est une mesure qui devait permettre à Gérald Darmanin de concilier le fameux « fermeté et humanité ».

En réalité, c’est une mesure qui était déjà très précaire, puisqu’en fait, elle ne concernait qu’une partie des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension qui répondaient à certains critères en particulier. En gros, ça concernait quelques milliers, voire quelques dizaines de milliers de personnes, selon Olivier Dussopt.

Et finalement, la mesure, elle a été torpillée par la droite, par la majorité au Sénat, aujourd’hui encore en commission mixte paritaire, et alors que l’objectif au départ, c’était d’inscrire ce droit à la régularisation dans la loi, puisque, aujourd’hui, ça n’est pas le cas, ça passe par une circulaire, la circulaire Valls,

Eh bien, la droite et l’extrême droite, avec l’assentiment du gouvernement, ont choisi de ne pas créer un droit opposable à la régularisation. Pour rebondir là-dessus, les métiers en tension, quels sont les métiers en tension ? C’est les métiers dans lesquels les conditions de travail sont insupportables et les salaires sont indignes. C’est clair.

C’est dans le bâtiment. C’est dans la restauration en courant toute la nuit, faire la plonge, et le matin, vous disparaissez. C’est dans les hôtels en faisant les chambres, les lits. C’est des entrepôts, de Chronopost ou n’importe quelle logistique, à décharger les camions à fond, ou même derrière un camion de poubelles,

À vider toutes les poubelles tous les matins, à faire le nettoyage dans les trains ou même dans les locaux. C’est ça, les métiers en tension. Ces boulots-là, il y en a. Pourquoi les gens en situation régulière, qu’ils soient français ou d’origine étrangère, ne veulent pas ces boulots-là ?

Parce que les conditions de travail sont insupportables, les salaires sont indignes. Les gens ne veulent pas. Donc ils veulent régulariser une partie des sans-papiers en disant : « Vous continuez à faire ce travail-là. » Si, demain, ces métiers-là ne sont plus en tension,

Ils perdent leur titre de séjour. Donc c’est pas l’égalité des droits. Et ce seront des régularisations qui se feront, dans cette loi… À la discrétion du préfet. …selon la discrétion du préfet, et donc une forme de… Ça pourrait être différent selon les métiers et selon les départements,

En fonction de ce que diront les préfets. « À la discrétion du préfet », Aboubacar, vous pouvez nous raconter ce que ça veut dire. Vous bataillez depuis deux ans pour la régularisation des membres de votre collectif, en tout cas ceux qui ont travaillé pour le groupe Chronopost…

Pour Chronopost, pardon, pour le groupe La Poste, donc, sauf qu’en fait, la préfecture fait la sourde oreille. La préfecture, ils font la sourde oreille. Nous, on dit même que c’est l’État qui foule aux pieds ses propres règles. Tout à l’heure, vous avez parlé de la circulaire Valls.

On a entendu le ministre de l’Intérieur dire : « C’est la fin de l’hypocrisie. » C’est le début d’hypocrisie. La circulaire Valls, c’est quoi ? C’est trois ans de présence, il faut présenter 24 feuilles de paie. Cinq ans de présence, il faut présenter huit feuilles de paie à la préfecture.

On demande des feuilles de paie aux gens qui n’ont pas le droit de travailler. – Totalement hypocrite. – Totalement hypocrite. On les pousse vers une illégalité, on les pousse vers une usurpation d’identité. C’est logique, il faut le dire. Que la régularisation devienne une loi, c’est bien, mais quel genre de loi ?

C’est pas ce genre de loi qui dit : « Il faut que les patrons vous fournissent les Cerfa et l’attestation de concordance. » Donc si les patrons les donnent pas, vous ne pouvez pas les présenter. Les patrons peuvent donner les documents nécessaires pour la régularisation, et les préfectures restent fermées.

Les préfectures sont fermées de toute façon. Vous avez tous les documents nécessaires pour la régularisation, il y a pas de rendez-vous. La file d’attente qui était devant la préfecture, aujourd’hui, ils sont devant les ordinateurs et devant les téléphones. Donc les préfectures font ce qu’elles veulent. Quand Aboubacar parle d’hypocrisie,

Ça veut dire qu’une loi comme celle qui va être votée, en fait, ça va accroître, finalement, un certain nombre de situations déjà très problématiques, avec encore plus d’illégalité. Bien sûr, c’est la continuité de la circulaire Valls qui, à la base, prévoit la régularisation des personnes qui n’ont pas le droit de travailler.

Nous, ce qu’on propose, si vraiment cette loi se présente comme une loi humanitaire, c’est des formations. Si on demande à la personne d’acquérir un niveau minimum de langue française A2 ou B1 pour avoir le titre de séjour, avant, il faut prévoir une formation de langue ou une formation aussi professionnelle

Pour accéder au marché du travail par la grande porte, avec une formation, avec la possibilité d’être à égalité avec les autres travailleurs, avec un choix. Le choix, c’est très important, un choix de faire un tel métier, ne pas s’orienter vers un tel métier parce que c’est un métier en tension

Qui va me permettre par la suite d’avoir un titre de séjour métier en tension. Vous êtes passée par la circulaire Valls pour votre régularisation. Oui, je suis passée par la circulaire Valls. Pendant cinq ans, j’ai travaillé, j’ai cumulé des fiches de paie pour avoir le titre de séjour salarié,

Alors qu’à la base, j’ai fait des études dans mon pays autres que ce que j’ai fait. Et mon rêve, c’était de faire une formation, mais j’ai fait la formation par la suite, après la régularisation. J’ai fait un diplôme comme médiatrice interculturelle en langues. Et là, on peut voir que les personnes exilées,

Dès que la personne est régularisée, la plupart d’entre nous veulent accéder à une formation. Toutes les personnes exilées, et même pour plusieurs personnes sans-papiers, la seule question : « Où je peux aller me former ? » Si vraiment on veut bien offrir un meilleur accueil, humaniste, plus humanitaire,

La formation, la formation en langues, la formation dans des métiers même dits en tension et le choix, le choix des personnes de faire ces métiers. C’est pas imposer de s’orienter vers un tel métier pour avoir l’accès après au titre de séjour. Pas une vision purement utilitariste. Malheureusement, oui. Vous, Gaudilene, vous aimeriez bien

Vous former à un métier, peut-être ? Moi, j’ai fait trois mois de cours de français, parce que pour moi, c’est un peu compliqué. Moi, j’habite seule, je travaille toute seule. Je parle beaucoup avec des Brésiliens, mais j’ai besoin de prendre des cours. Mais c’est trop cher.

– Les cours de français, donc. – Oui. Les cours particuliers, c’est trop cher. C’est cher, et pour moi, c’est compliqué. Mais j’ai besoin d’apprendre le français parce que j’aime beaucoup la France et… Et c’est ça. Nejma, on va traiter un autre aspect important dans cette loi.

Ça va être un peu différent, ce sera pas dans cette loi-là, mais on sait déjà que ça va venir à la rentrée. C’est notamment des dispositions autour de la santé. Dis-nous un peu ce qui est en jeu, là, à la fois dans certains éléments de cette loi.

Et puis ce qui arrive à la rentrée autour de la question de la santé des sans-papiers notamment. Oui, alors, il y a eu effectivement un certain nombre d’attaques lors des discussions autour de ce texte sur le titre de séjour étranger malade, dont il a été considéré qu’il fallait durcir l’accès,

Alors qu’en fait, l’accès à la santé, il s’agit d’un droit fondamental. On a déjà pu, nous, documenter les conséquences d’une telle politique, avec un cas, pour le coup, très concret, récent, d’un monsieur âgé qui est malade et atteint d’une sclérose en plaques, qui vit en Seine-Saint-Denis,

Et à qui la préfecture est allée carrément jusqu’à délivrer une OQTF, une obligation de quitter le territoire français, après avoir refusé de renouveler son titre étranger malade. Donc une personne malade qu’on renvoie chez elle. Alors même que plusieurs médecins avaient fourni des certificats médicaux qui attestaient qu’il ne pouvait pas être déplacé,

Tout simplement, et que ce serait une mise en danger que de le mettre dans l’avion pour l’expulser. Ça veut dire qu’on est prêt à expulser aujourd’hui des personnes qui sont gravement malades comme ce monsieur juste pour une politique du chiffre, juste pour revoir à la baisse

Le nombre de titres de séjour étranger malade délivrés, et on a surtout entendu parler de l’AME, l’aide médicale d’État dont on a déjà parlé en début d’émission, qui a été le fruit d’un marchandage honteux entre le gouvernement et la droite et pour laquelle Élisabeth Borne, la Première ministre,

S’est engagée à lancer une réforme dès le début d’année pour des raisons purement démagogiques, et je le rappelle, l’AME, pourtant, on en avait déjà durci l’accès en 2020, avec une salve de décrets qui venaient notamment rajouter un délai de carence de trois mois pour pouvoir l’obtenir.

Et on rappelle là que, évidemment, il s’agit d’un droit fondamental à se soigner quand on est malade et d’avoir des soins basiques. Je vous entendrai là-dessus, Bchira, mais on va en parler avec Dramane. Vous nous avez dit tout à l’heure : « Moi, je suis pas venu pour l’AME ou d’autres choses.

Je suis venu à cause de ce que j’ai vécu. » Donc on va rappeler rapidement votre histoire. Vous êtes arrivé en France après un très long périple. Vous êtes parti du Burkina Faso avec votre famille, vous avez traversé la Méditerranée à bord d’un canot pneumatique et votre embarcation avait été secourue

Par l’Ocean Viking, le navire de l’ONG SOS Méditerranée, en janvier 2021. Nejma vous avait d’ailleurs rencontré à bord de ce bateau. Elle avait filmé ces images à ce moment-là. La mission de l’Ocean Viking, c’est sauver des exilés, comme vous, qui sont en détresse en pleine mer, à bord de canots surchargés.

C’est des embarcations de fortune, et sur ces embarcations, on les voit, il y a souvent une centaine d’exilés, des hommes, des femmes, des enfants, voire de très jeunes bébés. C’était votre cas aussi. Des gens qui viennent, comme vous, du Burkina, de Guinée, du Mali, de Côte d’Ivoire,

Du Sénégal, du Soudan, de partout en Afrique, avec un passage en général par la Libye, où il y a souvent des cas de maltraitance et de torture parfois. Vous avez fini par arriver en France. Vous, pour prolonger un peu la discussion qu’on avait eue tout à l’heure, pour quelles raisons vous partez ?

Qu’est-ce qui fait qu’on prend tous ces risques ? C’est important de le redire à chaque fois, on le fait beaucoup sur Mediapart, mais d’expliquer pourquoi on décide de quitter le Burkina Faso, avec, dans votre cas, votre épouse, deux enfants en très bas âge, et pourquoi on prend tous ces risques.

Parce que moi, particulièrement, je viens d’un pays de guerre et de conflit depuis 2015, et la guerre était juste dans ma région. Je suis frontalier du Mali, à 90-100 km du Mali. Donc après, les terroristes ont commencé à attaquer les villages jusqu’à notre village. Donc on était obligés de fuir notre pays

Pour le Mali. Mais ça a été encore plus grave quand on a atterri au Mali. C’est la même guerre, sur toute l’étendue du territoire malien. Donc la seule issue, c’est de quitter le Mali pour l’Algérie. Dès que nous sommes arrivés en Algérie, dès la première ville,

Oui, on s’est sentis un peu en sécurité. Mais il y a un autre problème encore en Algérie. En Algérie, à un moment, la police fait la chasse à l’homme, aux immigrés illégaux, sur toute l’étendue du territoire. Précisément, quand j’étais à Adrar, un matin, je sors, je vais à la boutique, je viens,

La police casse tout le foyer, ramasse ma femme et mon fils de 3 ans et les jette dans le désert du Niger. – Ils ont été dans le désert. – Oui. Donc j’arrive, je vois personne. J’étais chez un Camerounais qui savait où on les déposait : Assamaka.

Maintenant, lui, il appelle, il dit : « Non, ils sont pas encore arrivés. » Donc on est restés isolés pendant trois semaines avant qu’il ait des nouvelles de ma femme dans un centre d’accueil d’immigration dans le désert. Pas d’eau, pas de nourriture, rien.

Donc j’étais obligé de travailler au noir pendant ces trois semaines, payer pour faire remonter ma femme. Et on est restés là pendant quelques mois à travailler, avoir l’argent, et je voyais que l’Algérie n’était pas un lieu sûr pour nous. Vous auriez pu rester en Algérie si ça s’était bien passé ?

S’il y avait la paix, il y avait aucun problème. Mais on est entrés sur le sol algérien illégalement. Mais l’Algérie n’était pas sûre pour nous parce que chaque fin de mois, il y a la chasse à l’homme. Ils cassent des foyers, ils attrapent les gens,

Que ça soit femmes, enfants, ils les jettent dans le désert, et d’autres meurent de faim et de soif. Donc on était obligés de faire sept mois en Algérie, travailler un peu et progresser vers la Libye. Donc, durant tout notre parcours, pas de paix en Afrique de l’Ouest ni Afrique du Nord.

En Libye, c’est les tirs du soir jusqu’au matin, et souvent, on arrive, on casse le foyer, on fouille, on pille, et souvent, on vous met en prison, vous devez payer et vous ressortez. Et c’est comme ça. Et je suis resté dans une ville en Libye où c’était vraiment très compliqué.

On commence les tirs à 18h jusqu’à 6h du matin, et c’est tous les jours. Souvent, vous vous levez le matin, vous apprenez qu’il y a eu cinq morts et six morts. Des tirs qui visent les exilés. C’est des tirs… Souvent, il y a des combats intenses…

OK, il y a des combats, donc il y a beaucoup de morts. Oui, il y a beaucoup de morts, ça ne vise pas… Il y a aussi des milices mafieuses. Oui, et ceux qui visent les immigrés, souvent, – c’est l’agression et la prison. – D’accord.

Et vraiment, la Libye aussi n’était pas un lieu sûr. Ma femme était enceinte. On est restés camouflés pendant un bon moment jusqu’à ce qu’elle accouche, par césarienne. L’accouchement a été très compliqué pour nous. Et après ça, ma femme dit : « Si on ne part pas, moi, je vais mourir.

Parce que d’abord, j’ai la peur, le stress des tirs, et c’est insupportable. » Et donc, vous partez. Donc maintenant, on trouve un réseau qui fait traverser les gens dans la Méditerranée. J’ai dit : « C’est risqué pour une femme qui vient de faire une césarienne il y a un mois. »

Elle a dit : « Il faut tenter ta chance de survie que de rester mourir. » Parce que de toute façon, on survivait, on vivait même pas. C’est une survie. – Et donc, pour cette raison-là… – On risque notre vie. Si on est sauvés, on est sauvés.

Si on est morts… On était déjà morts, quoi. Souvent, on a peur de mourir quand on vit, quoi. Mais de toute façon, nous, on vivait pas. Donc, un Zodiac de 9 mètres qui embarque 124 personnes. Un jour, on a décollé à 3 convois

Et il y en a un qui est resté sur place et les autres se sont dispersés. C’est nous que l’Ocean Viking a pu sauver. Ma fille avait seulement 1 mois. Dès que nous sommes arrivés en Italie, On voulait s’installer. J’ai dit : non, ça va. L’essentiel, c’est de fuir les guerres,

Les conflits, il faut être en paix. Moi, je suis resté en Italie pendant 7 mois. C’est quand même un sacré paradoxe que la Libye pousse autant de personnes à prendre la mer à cause de toutes les violences dont vous faites l’objet là-bas, Alors que l’Union Européenne finance elle-même la Libye, justement,

Pour intercepter les bateaux en mer, ça arrive. Vous avez dû en entendre parler, des interceptions en mer, très régulièrement. C’est paradoxal, quand même, Les gens le savent clairement, ils n’ont pas le courage de le dire. Avant la guerre en Libye, les gens étaient là, ce n’était pas comme ça,

La Libye était un lieu sûr, les gens travaillaient, gagnaient leur vie. Maintenant, il y a la guerre en Libye, et tous ceux qui se trouvent en Libye, ils n’ont pas la tête tranquille. Qu’est-ce que vous pensez de… Merci de nous avoir raconté ce périple. On a beaucoup raconté, dans Mediapart, ces histoires,

Notamment grâce à toi, Nejma, mais c’est important de les rappeler. Qu’est-ce que vous pensez, quand vous racontez cette histoire, des gens qui vous disent : « Oui, mais c’est… » Voilà, on a des parlementaires qui nous disent : « On va enlever les allocations familiales,

On va enlever les APL, une partie d’entre elles. » Vous, vous êtes sans emploi actuellement et vous m’avez dit, quand on a préparé cette émission : « J’aimerais beaucoup travailler. Simplement, j’ai seulement un récépissé de titre de séjour, donc je ne peux pas travailler. » Qu’est-ce que… Quand vous avez

Tout ce parcours derrière vous et que vous entendez ce qu’on entend en ce moment, qu’est-ce que vous répondez ? De toute façon, je l’ai dit, j’ai peur de cette loi. C’est-à-dire, l’injustice, la discrimination, c’est des choses qui ne finissent pas en paix, parce que ça commence déjà mal.

Les gens ne se posent pas la question de pourquoi il y a l’immigration. C’est tout ce que je dis. Avant de parler de l’immigration, il faut se poser la question. Nous, on n’est pas là pour les aides. Moi, par contre, j’ai eu les aides d’État en France.

Mais avant la France, je vivais comment ? C’est la question qu’on doit se poser. – Vous travailliez ? – Voilà, c’est ça. Si on facilite le travail, les titres de séjour, mais tout va bien. On le rappelle, aujourd’hui, finalement, ils ont, en commission mixte paritaire, supprimé la possibilité

Pour les demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande en France, ce qui est quand même ce qui est quand même très paradoxal. Bchira, Boubacar, peut-être sur la question, justement, sur cette question de l’AME, sur la question des allocations, là encore, comment vous le percevez ? Quelles conséquences concrètes

– ça va avoir ? – Peut-être, là, en écoutant le camarade raconter son périple, mais ce périple était aussi dangereux, aussi difficile, à cause des politiques migratoires européennes qu’on connaît tous. Mais après ce passage, après cette traversée difficile pour le camarade et sa femme et ses enfants, on peut imaginer la personne exilée.

Elle arrive dans quel état de santé ? Ce n’est pas le même état de santé que quand elle est partie du pays. Après deux ans ou trois ans, la personne arrive en France, et c’est quoi, la réponse ? « On va enlever, non, vous n’aurez pas l’accès aux soins. »

C’est précariser de plus en plus la personne qui a déjà eu une traversée difficile, et les politiques migratoires ont mis en péril sa vie. Maintenant, on précarise de plus en plus et on met de plus en plus sa vie en danger en le privant des soins qui sont, qui sont un droit fondamental.

Ça va concerner d’autres personnes qui n’ont pas eu forcément ce parcours-là mais qui sont en France, sans papiers et ne peuvent pas se soigner, pour une maladie grave ou bénigne. Pardon, tout en sachant qu’il y a une autre tranche des personnes exilées qui travaillent depuis des années et cotisent pour les caisses sociales

Sans avoir accès, même, au chômage ou tout… Voilà ce paradoxe. Tassadit, on entend beaucoup, aussi, parler, dans le discours de l’extrême droite, des Algériens qui viendraient profiter en particulier des aides sociales en France. Vous qui êtes algérienne et qui êtes venue ici pour travailler, recrutée par la France,

Qu’est-ce que ça vous inspire ? Peut-être qu’après, vous pourrez nous dire un mot du combat que vous menez pour le regroupement familial. Pour mon cas, je touche aucune aide parce que j’ai un bon salaire, donc je ne touche pas d’aides, mais oui, j’entends parler de ça. Ça me fait mal,

Parce que réellement, on vient pour travailler. Moi, personnellement, je suis venue parce que le projet qu’on m’a proposé m’intéressait et je ne suis pas venue pour les aides ni pour autre chose. Je suis venue pour améliorer peut-être mes compétences mais pas pour autre chose. Parlez-nous de ça, justement, de ce qui vous anime

Et la raison de votre présence, aussi, ce soir. C’est la question du regroupement familial. Nejma, tu peux nous faire un point sur ce que dit la loi sur le regroupement familial, et ensuite, on poursuit avec Tassadit. Oui, alors en fait, il est question, donc, de durcir l’accès au regroupement familial,

Notamment en imposant maintenant des conditions de ressources, on en parlait en préparant l’émission, aux personnes qui voudraient donc faire venir leurs proches en France, donc leur demander… On parlait notamment d’un salaire qui serait à 1800 euros net. Je pense que c’est encore à définir,

Mais c’est vrai que tout le monde ne gagne pas aujourd’hui, y compris parmi les Français, 1800 euros net par mois. Il y aurait aussi l’obligation, pour les proches dans le pays d’origine, d’avoir une assurance-maladie avant de pouvoir venir en France ou encore d’avoir un certain degré de maîtrise de la langue française

Pour pouvoir également rejoindre leurs proches en France, alors qu’en réalité, on n’en parle pas beaucoup dans les médias, la procédure de regroupement de regroupement familial, en fait, c’est un vrai parcours du combattant. Vous, dans votre collectif, vous le dénoncez maintenant depuis des années. Vous avez des personnes qui attendent

Depuis trois ou quatre ans. Racontez-nous un peu l’impact que ça peut avoir sur la vie des gens. Vous-même, vous êtes concernée. – Racontez-nous. – Comme je l’ai déjà dit, j’étais en Algérie, je travaillais, j’avais un bon salaire, une bonne situation. On m’a proposé un poste, un très bon poste de géomètre,

Sur un projet parmi les plus grands projets du monde, qui est le Grand Paris Express. Je suis entrée en France avec un visa salariée OFII. – C’est l’OFII et la préfecture… – Donc, l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Oui, qui ont validé mon embauche.

J’ai eu un permis de travail par la préfecture de l’Essonne. Jusqu’ici, tout va bien. Oui, j’ai travaillé tout va bien. En 2022, j’ai entamé la procédure du regroupement familial pour mon mari. Qui est en Algérie. Oui, qui est en Algérie. Je voulais le faire venir.

La loi prévoit six mois, mais au bout des six mois, j’ai découvert que je n’ai pas eu de réponse, aucune réponse. Justement, j’ai cherché sur les réseaux sociaux, j’ai découvert un collectif de familles dans l’Essonne. En entrant en contact avec eux, j’ai découvert qu’il y avait des personnes qui attendaient depuis 2019, 2020,

Qui ont déposé des dossiers depuis 2021, et aucune réponse. D’ailleurs, il y a un cas, son transfert à la préfecture s’est fait en 2020, et à ce jour, il n’a pas reçu d’avis favorable. Il attend toujours. Il y a eu des cas de divorces, justement,

Parce que c’était trois ans séparé de sa famille. Oui, un couple qui ne peut pas forcément se voir pendant un an, deux ans ou trois ans, c’est vrai que ça a des conséquences, quand même. Oui, il y a eu des décès. Il y a une femme qui a perdu, d’ailleurs, sa fille.

Elle attendait un regroupement familial, c’était une petite fille de 5 ans. Elle l’a laissée. Il y a des familles… Je connais un cas, il a laissé sa fille de 8 ans en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, cette semaine, il m’a contactée. Il a reçu un courrier de l’école. Elle ne peut pas aller à l’école.

D’ailleurs, elle est stressée et le monsieur a peur. C’est un combat vraiment long, très long. La préfecture, le problème, c’est qu’elle ne répond pas. On n’a pas d’interlocuteur. J’envoie des mails. Moi, personnellement, j’envoie des mails. Je contacte le Défenseur des droits, mais aucune réponse. – La préfecture… – Vous êtes nombreux

À saisir le Défenseur des droits, d’ailleurs. Oui, on ne peut pas faire suivre, on ne peut pas faire le suivi de son dossier. Il n’y a rien du tout, aucune réponse. Alors qu’il y a déjà beaucoup d’obstacles. Est-ce que vous pouvez rappeler ce que c’est que les étapes ?

C’est quoi, les étapes pour le regroupement familial ? Il y a une visite, notamment, du domicile. Il faut que ça réponde à une certaine superficie. Les étapes, c’est déjà constituer un dossier, un dossier qui a un paquet de papiers, d’ailleurs, l’envoyer à l’office. Une fois validé, une fois le dossier complet,

L’OFII envoie une attestation de dépôt. Après l’attestation de dépôt, il y a la visite, mais déjà, l’OFII, ça traîne. Pour mon cas, c’est plus d’un an à l’OFII, déjà. On vient visiter votre domicile pour vérifier que vous êtes – en capacité… – Il y a un enquêteur qui vient visiter, qui vérifie tout,

Et si tout va bien, le dossier sera transféré à la préfecture. Là, ça bloque. Dès que le dossier arrive à la préfecture, ça peut prendre un an, deux ans de plus. Donc là, moi, si je regarde les dossiers de 2021 qui n’ont pas reçu d’avis favorable, je vais attendre encore 2 ans ?

Oui parce que votre demande était en 2022. Ça me fait peur et je suis stressée. C’est dur. Vivre loin de mon mari, c’est vraiment dur. Attendre jusqu’à quand ? Et si, par exemple, j’ai un suivi de mon dossier, on va me dire : « Il sera traité à telle ou telle date. »

Je vais attendre quand même la date. Mais là, aucun suivi, aucune information concernant les dossiers. Actuellement, on a fait cinq manifestations dans l’Essonne. Ça a bougé, mais pour moi, ça reste du goutte à goutte. On a l’impression, en vous écoutant, que beaucoup de problématiques viennent de la préfecture.

Est-ce que c’est un manque de moyens ? Est-ce que c’est, finalement, une politique du chiffre qui serait dictée par le ministère de l’Intérieur ? On a quand même vous, Gaudilene, qui êtes touchée par une OQTF alors que vous êtes insérée dans la société, vous travaillez, vous êtes utile, entre guillemets, à la société,

Vous, Aboubacar, qui luttez pour votre régularisation, pareil, vous travaillez… Vous avez tous travaillé au sein de votre collectif et la préfecture ne vous entend pas. Vous, c’est pareil pour le regroupement familial. Est-ce qu’il n’y a pas un problème au niveau des préfectures ? Qu’est-ce que vous auriez aimé voir

Sur ce point-là en particulier, dans ce projet de loi ? Qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour améliorer tout ça ? Aboubacar, peut-être. Tout simplement de mettre des moyens immenses derrière les guichets. Toute cette attente, c’est derrière le téléphone, c’est derrière les ordinateurs. Vous parlez à un mur. C’est fait exprès, bien évidemment.

C’est dire non sans vouloir le dire. Des moyens humains, il y en a. S’ils ne veulent pas mettre les moyens humains, il y a la dématérialisation. Tout l’ensemble des sites de la préfecture sont faits exprès : vous envoyez une demande, des rendez-vous, il y en a pas,

Vous envoyez une demande quand vous avez fait un dépôt, vous avez une attestation de dépôt qui est peut-être valable une année, vous n’avez pas de retour. Je parle précisément pour la préfecture du Val-de-Marne. Tout le monde s’est plaint : il n’y a pas de rendez-vous. Même si vous déposez, vous attendez six mois,

Huit mois, une année et vous récupérez, des fois, un titre de séjour déjà expiré. Mais quand même, il faut payer 225 euros pour l’avoir, et ensuite entamer son renouvellement. Donc c’est fait exprès. On est dans une totale hypocrisie contrôlée par le ministre de l’Intérieur. C’est le ministre de l’Intérieur qui coiffe les préfectures.

Quand il nous dit qu’il est temps qu’on arrête l’hypocrisie, qu’il y a des gens sur le territoire qui travaillent depuis des années, qui parlent français… Il dit aussi qu’ils sont intégrés, même si j’aime pas ce mot-là, qu’on doit régulariser ces gens-là. Qui doit les régulariser ?

Les vrais patrons voyous, aujourd’hui c’est La Poste. Chez La Poste, l’État est un actionnaire stratégique, après la Caisse des Dépôts et Consignations, qui exploite les sans-papiers. On est face à un gouvernement qui fabrique des nouveaux sans-papiers, qui maintient les gens sans papiers, qui les exploite, derrière, et derrière tout ça,

Ils sont là pour profiter du système. – Je trouve que c’est tordu. – J’aime bien cette notion de fabrique des nouveaux sans-papiers. Bchira, vous avez l’impression que des lois comme ça, ça fabrique de nouveaux sans-papiers ? Déjà, le système qui existe depuis longtemps, il fabrique des sans-papiers.

La nouvelle loi, c’est dans une logique de… Déjà, en privant les personnes avoir accès… Moi, pendant le Covid, j’ai cherché un rendez-vous pour déposer mon dossier pour la régularisation pendant un an parce que pendant le Covid, il y avait ce ralentissement, mais aussi, il y avait la dématérialisation qui avait commencé.

Pour avoir un rendez-vous, il faut y être tout le temps et on ne trouve pas. Pendant un an, j’ai cherché un rendez-vous, je suis passée par là. Mais pour le renouvellement, cette question de dématérialisation dont parlait Dembele, c’est rendre l’accès aux services de plus en plus facile.

Pour répondre à la question de Nejma, peut-être, de : qu’est-ce qu’on veut ? Plus de simplification, parce qu’on voit que la logique, c’est une logique de découragement. Ce n’est pas une logique de simplification. Quand on se décourage et quand on ne peut pas accéder, on reste plusieurs années sans papiers.

C’est une fabrique de sans-papiers pour plus exploiter, dans une logique d’exploitation et d’utilisation. D’autant plus que, si on criminalise plus, évidemment, les sans-papiers, ça peut aussi, dans cet aspect-là, fabriquer plus de sans-papiers. Il y aura finalement plus de choses qui sont, moins de droits et donc possiblement plus de situations

Qui ne seront pas couvertes par le droit. Maintenant, on a plusieurs exemples de personnes qui sont régularisées, et après, elles perdent leur titre de séjour. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de rendez-vous, ou il y a maintenant l’Administration numérique des étrangers en France, l’ANEF.

On peut déposer tous ces dossiers, on n’a pas de retour. La camarade disait tout à l’heure qu’on n’a pas d’interlocuteur, mais c’est ça, le problème. Maintenant, l’interlocuteur, c’est l’ordinateur, c’est le mail. Il n’y a pas de réponse. Voilà. C’est un message automatique pareil pour tout le monde.

Tant qu’on est dans l’illégalité, on perd son titre de séjour, on perd un permis de séjour, on rentre dans cette case, voilà, on peut être contrôlé à n’importe quel moment et on peut avoir une obligation de quitter le territoire français. Un cycle infernal. Voilà. Nejma, on va terminer,

Avant une autre question générale pour tout le monde, sur quand même un aspect très important de cette loi, c’est la question du volet répressif. On en parlait, justement, de ce texte qui est là aussi accru avec différentes mesures. Oui, tout à fait. C’est l’aspect vraiment purement sécuritaire,

Répressif de cette nouvelle loi sur l’immigration qui vise donc à faciliter l’expulsion des étrangers dits délinquants, comme le souligne Gérald Darmanin. C’est son discours, c’est celui qu’il porte depuis un an environ, et qui pousse donc à regarder les personnes étrangères uniquement à travers le prisme de la menace.

Comme si les personnes étrangères, aujourd’hui, en France, représentaient toutes une menace. Et donc, dans ce texte, on retrouve la possibilité de déchoir certaines personnes de leur nationalité lorsqu’elles ont, par exemple, commis un meurtre à l’encontre d’un policier. On en parlait au début de l’émission. On retrouve aussi la possibilité d’expulser des personnes

Qui seraient arrivées avant l’âge de 13 ans en France. En réalité, ça existe déjà, sous certaines conditions exceptionnelles, notamment quand il y a des activités à caractère terroriste. Mais ça, Darmanin ne le dit jamais et on réduit enfin les voies de recours pour, je cite Darmanin : « Simplifier

Le contentieux des étrangers. » Et effectivement, cette machine à OQTF pousse aussi à des situations comme celle de Gaudilene. Voilà. Gaudilene, racontez-nous un peu plus en détail. Je l’ai dit tout à l’heure. Vous êtes venue du Brésil, vous êtes sans papiers, vous travaillez auprès d’enfants. Vous êtes sous le coup de cette obligation

De quitter le territoire français. Actuellement, vous la contestez, et vous êtes aidée pour ça par une association. Quand le ministre de l’Intérieur et d’autres responsables politiques parlent, disent : « On va expulser plus facilement les étrangers délinquants », comment vous vivez ça ? Qu’est-ce que vous entendez là ? Qu’est-ce que vous ressentez

Quand vous entendez ça ? Moi, quand j’ai reçu l’OQTF, j’ai pensé que j’étais une personne dangereuse, c’est ça ? Parce que moi, je travaille comme tout le monde. J’utilise des documents qu’il ne faut pas. Une carte portugaise, c’est ça ? Oui, c’est ça, mais là, tout ce qui vient,

C’est moi, c’est mon nom, c’est ma date de naissance. C’est mes grands-parents. J’utilise juste une carte qu’il ne faut pas. Mais je demande qu’ici, en France, on aide en priorité les personnes qui ne vont pas bien. Si la personne sort dans la rue, qu’elle fait du mal à quelqu’un,

Il va voir la police, il sort de là avec un document. Et nous, qui travaillons, ce n’est pas bon pour nous. Il y a une injustice fondamentale. Oui. Merci à tous et à toutes. Pour terminer cette émission, il y a pas mal de gens, ce soir, qui nous regardent,

Qui ne connaissent pas forcément en détail les questions migratoires, qui ne sont peut-être pas concernées directement dans leur cercle familial. Il y a aussi des responsables politiques. Il y a aussi peut-être même des gens du gouvernement qui vont nous regarder. Ce soir, vous, quel message vous auriez envie de passer,

Soit à nos dirigeants, justement au moment où cette loi va être votée, soit aux gens qui nous regardent et qui écoutent ce que vous dites ce soir ? Dramane ? Oui, j’ai un message à passer, surtout à la droite. La meilleure façon de protéger les Français, c’est de protéger les immigrés

Sur le sol français. C’est-à-dire que si tu es immigré, tu surveilles les enfants des Français, et que tu es dans des conditions très difficiles, même les parents au travail ne sont pas tranquilles : « Qu’est-ce qui peut arriver à mes enfants ? » Celui qui surveille mes enfants

Est dans une situation très compliquée. Ça peut jouer aussi sur l’impact des enfants. L’injustice à long terme entraîne aussi des situations très difficiles à la longue. C’est-à-dire qu’on coupe les aides. Maintenant, moi qui ai des enfants ici, qui vont à l’école avec les Français, si on coupe les aides,

Ils vont avoir une vie très difficile. Pourtant, je n’ai pas le droit de travailler pour le moment. Qu’est-ce qu’ils vont devenir quand ils vont devenir grands ? Ils vont grandir dans la haine. Cette haine peut entraîner des graves situations dans l’ensemble de la société française, qu’ils travaillent ou pas.

Parce qu’ils ne vont pas grandir comme les autres enfants. Il va leur manquer beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses. C’est bon de prendre les décisions, suivre les lois, mais il faut réfléchir à long terme. Les lois peuvent être prises aujourd’hui, signées çà et là, mais à la longue, qu’est-ce que ça va devenir ?

C’est ça. Parce qu’un enfant, il n’a rien demandé. C’est la situation qui a obligé, mais il va à l’école avec les Français, et ça arrive qu’il n’ait pas les moyens de se nourrir, de se vêtir, ni de se soigner. Les autres sont bien, automatiquement. Il grandit comme ça, c’est un délinquant.

Il grandit finalement dans les inégalités. Oui, dans les inégalités et dans l’injustice. Tassadit, vous, qu’est-ce que vous aimeriez dire à celles et ceux qui nous regardent ce soir ? Qu’est-ce que j’aimerais dire ? Si je suis là, je suis là pour travailler. J’aime la France comme j’aime mon pays. Et c’est tout.

Aboubacar ? Le message est clair. Moi, je dirais seulement à ce pays-là qu’il a des valeurs, jusqu’à aujourd’hui. Mais voter ces lois-là, cette loi-là, c’est renoncer à toutes ces valeurs-là. Le président de la République a été élu pour faire barrage à Marine Le Pen, et aujourd’hui, ils votent une loi ensemble.

Ça veut dire ce que ça veut dire, mais on en est là. Ceux qui sont là aujourd’hui ne détestent pas ce pays-là. Sinon, ils n’allaient pas être là. Nous ne détestons pas la France, ni les Français. Nous dénonçons le système.

Le système qui est là n’est pas fait pour donner une porte de sortie. Nous demandons tout simplement l’égalité des droits, papiers pour tous, travail pour tous, logement pour tous, une retraite digne pour tous. Ceux qui sont là, qui travaillent, peuvent être régularisés. Ceux qui ne travaillent pas aussi peuvent être régularisés.

L’État dit qu’ils ne sont ni régularisables, ni expulsables. Ce n’est pas vrai, ils sont régularisables. Ils ne sont pas un danger pour l’ordre public. Il faut mettre les moyens humains ou les moyens nécessaires dans la préfecture pour régulariser des gens qui sont sur le territoire. Il n’y a pas besoin d’une nouvelle loi.

Ça fait 24 mois que les camarades sont au piquet, ils sont en grève contre une entreprise qui est filiale de La Poste. La Poste, pour laquelle l’État est un instrument stratégique, continue de fermer les yeux. Même après la condamnation de La Poste, qui a été condamnée pour prêt illicite de main d’œuvre,

Marchandage et travail dissimulé, ils ne veulent pas régulariser. La préfecture dit : « Voyez avec les ministères. » Les ministères nous disent : « Voyez avec la préfecture. » Donc on en est là. On demande tout simplement un retrait pur et simple de ce projet de loi sur l’immigration.

Gaudilene, quel message vous avez envie de faire passer à ceux qui nous regardent ? Pour faciliter notre vie ici, en France, parce que comme moi, je crois qu’il y a beaucoup de personnes qui ont des masters, mais je ne peux travailler avec dans ma profession,

Parce que je n’ai pas de documents, c’est tout. Bchira, le mot de la fin. Quel message, ce soir, vous avez envie de faire passer, de votre point de vue, mais aussi du point de vue de la militante que vous êtes ? Le premier message, c’est que décourager,

Ça ne peut jamais empêcher un appel d’air imaginaire. Décourager, ça n’a jamais été la solution. Le deuxième message, c’est au lieu de créer des images autour des personnes exilées que parfois on n’a jamais croisées, allez voir ces personnes-là, là où elles sont. Généralement, nous sommes sur des lieux de travail

Que vous ne pouvez jamais imaginer. Dans toutes les administrations, il y a des personnes qui travaillent, soit étrangers régularisés, soit des personnes qui travaillent dans des métiers dits en tension. Si on veut croiser des personnes exilées qu’on ne connaît pas, on peut aller dans des associations.

Là, des personnes exilées sont engagées comme bénévoles, ils travaillent dans des associations, ils sont là pour essayer d’accueillir l’autre, qui n’a peut-être pas trouvé assez d’accueil, pour faciliter un dialogue avec l’autre. Je pense ici, par exemple, à la question de langue. Essayer, peut-être,

– parce qu’on ne parle pas la langue de l’autre – de se rapprocher de ces personnes exilées, essayer d’aller vers, parler, et là, on va découvrir des personnes. Peut-être on a regretté, un jour, d’avoir construit une image imaginaire, aussi sombre, autour. Découvrir l’autre. Oui. Merci beaucoup

À tous les cinq d’être venus, ce soir, sur le plateau de Mediapart. Merci à toi, Nejma. Merci à vous de nous suivre. Cette émission, elle est en accès libre, vous le savez, donc si vous le pouvez, abonnez-vous à Mediapart pour nous aider à vous informer. À très vite sur Mediapart et bonne soirée.

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